par Alex CONTRERAS BASPINEIRO
C’était hier, à La Paz. Il était 12h55 à la vieille horloge du Palais Législatif. Le Président de la République Evo Morales Ayma ne peut contenir son émotion et pleure, les dirigeants des mouvements sociaux se confondent en une seule étreinte, les milliers de manifestants crient de joie et font ondoyer leurs drapeaux et wiphalas[1], les mineurs font exploser leur dynamite et les paysans font écouter leurs pututus[2]. C’est un jour historique pour la Bolivie, car le Congrès National a approuvé aux deux tiers la convocation du référendum sur la nouvelle Constitution politique de l'État pour le 25 janvier 2009.
"A partir de ce moment, nous commençons tous la campagne pour adopter à cent pour cent la nouvelle Constitution de l'État», déclare le chef de l'Etat devant des milliers et des milliers de personnes qui, après leur marche, ont assuré une veille toute la nuit sur la place Murillo.
Le Président souligne que, grâce à une nouvelle Carta Magna[3], plusieurs avantages seront constitutionnalisés, comme la Rente Dignité[4], l’allocation Juancito Pinto[5] ou la nationalisation des hydrocarbures.
Les autonomies départementales -comme indigènes et municipales- sont garanties et constitutionnalisées et, en un acte de justice, la Bolivie est reconnue comme un État unitaire social de droit, plurinational, communautaire, souverain, interculturel et décentralisé.
Se félicitant de l'engagement et de la lutte des mouvements sociaux, Morales Ayma a déclaré: «La refondation de la Bolivie nous a unis... Je me félicite de la décision de la Centrale Ouvrière Bolivienne (COB) de se joindre à la Coordination Nationale pour le Changement (CONALCAM)."
La marche depuis Caracollo (Oruro) jusqu’à La Paz a été menée par les principaux dirigeants de la COB et de la CONALCAM ; autour de celles-ci plus de 95 organisations sociales de l'ensemble du territoire national ont participé.
Le chemin se fait en marchant
Des milliers et des milliers de Boliviens et Boliviennes sont arrivés hier à La Paz, après avoir marché 190 kilomètres en huit jours, avoir eu faim et soif dans des communautés situées au-dessus de quatre mille mètres d’altitude, avoir dormi exposés aux intempéries dans les hautes terres glaciales et avoir subi une campagne médiatique les diabolisant comme « ennemis » de la démocratie.
Comme s’il s’agissait du réveil d’un géant endormi, les représentants des mouvements sociaux, fiers de leur culture, portant leurs vêtements et accompagnés de leur musique et de leurs traditions, ont reçu sur leur passage non seulement de la nourriture ou des boissons, mais aussi et surtout de la solidarité.
La marche, la plus grande de l’histoire démocratique du pays, en plein centre névralgique de la Bolivie politique, est devenue une fête multiculturelle et multiethnique qui a ébloui les marcheurs comme les observateurs.
Il y a une semaine, aucun homme politique ne montrait d’intérêt à la recherche de solutions concertées. On cherchait une fois de plus la polarisation du pays pour qu’il y ait des affrontements et une division plus grande -mais les pas des marcheurs ont tracé la seule voie possible : le dialogue urgent.
« C'est un grand triomphe pour la Bolivie car ils sont en train de construire un projet qui inclut tout le monde... Ceci n'est pas un projet du gouvernement ou de l'opposition, c’est un projet des Boliviens », a déclaré Raul Lagos, le délégué de l'Organisation des États américains (OEA).
Grâce à une loi spéciale d'interprétation de l'article 233, le Congrès national a décidé de convoquer un référendum constitutionnel à la date du 25 Janvier 2009 et des élections générales en décembre de l'année prochaine.
« Nous autres peuples indigènes, paysans et autochtones ainsi que tous les mouvements sociaux n’allons agresser aucun parlementaire ni aucun citoyen comme l’ont fait les autonomistes par des actions racistes. Nous autres défendons la culture de la vie », a déclaré le chef de la CONALCAM Fidel Surco.
Les marcheurs, représentant les organisations de la campagne et de la ville qui recherchent et appuient le processus de changement, arrivaient de Santa Cruz et Oruro, Tarija et Potosí, Beni et Chuquisaca, Pando et Cochabamba.
Plus de cent articles
La marche difficile mais déterminée des manifestants a obligé l'opposition comme les partis au pouvoir à apprendre à parler, à se débarrasser de leurs intérêts politiques et personnels et à conclure des accords concrets.
La session du Congrès a duré de plus de seize heures d’affilée.
Les positions intransigeantes d’il y a quelques jours, du genre « pas une seule virgule du nouveau projet ne sera modifiée, sauf le chapitre sur l'autonomie » ou « nous n’approuverons pas une Constitution maculée de sang », ont été abndonnées.
Selon le Vice-Président de la République Álvaro García Linera, les articles modifiés sont plus de cent, certains dans la forme, d’autres dans le fond.
"Les forces politiques se sont accordées sur une centaine de corrections à apporter au nouveau texte constitutionnel relatives à des questions électorales, aux autonomies, à la justice communautaire et ordinaire - entre autres", a-t-il dit.
Parmi les thèmes qui ont fait l’objet d’un accord, il y a la question de la terre – qui concerne énormément les secteurs productifs : il a été établi que les résultats du référendum constitutionnel concernant les propriétés de 5 à 10 mille hectares n'auront pas d'incidence sur ceux qui possédaient ces terres avant la consultation -pour autant que ceux-ci remplissent leur rôle économique et social.
En ce qui concerne les autonomies, on est arrivé à un chapitre beaucoup plus complet, consistant et répondant mieux aux attentes des régions de Tarija, Beni, Santa Cruz et Pando.
Dans ces quatre régions autonomes ont été menés des référendums qualifiés d’illégaux.
"La Bolivie a gagné. Ceci couronne un effort de deux années dans notre vie politique ... Nous sommes satisfaits pour plusieurs raisons, pour une étape culminante dans un pays qui a lutté des décennies pour l'inclusion sociale ", a indiqué Garcia Linera.
Bien qu'existent des désaccords de caractère régional, en particulier des parlementaires de Santa Cruz et Chuquisaca, la plupart des quatre groupes politiques (MAS[6], MNR[7], UN[8] et PODEMOS[9]) ont établi un accord qui, en substance, renforce le système démocratique bolivien.
En train de creuser leurs tombes
Devant la force des mouvements sociaux, l'opposition non seulement s’est retrouvée sous pression mais aussi plus faible et, finalement, elle a connu une défaite.
Jusqu'à hier les opposants, déployant une stratégie de communication à travers tous les médias commerciaux, faisaient valoir que « la constitution du MAS ne serait approuvée qu’en passant sur leurs cadavres. »
Aujourd'hui, certains pleurent leur défaite, d'autres encore ne peuvent accepter le coup dur, et la plupart tentent de justifier l'injustifiable.
Le préfète de Chuquisaca, Savina Cuellar, ancienne du MAS, a dit :"Ceux qui ont appuyé le Congrès National sont des traîtres. Nous ne pouvons pas adopter cette Constitution vénézuélienne, nous ferons campagne pour le non ». « Nous n'avons pas été pris en considération... le thème de la compétence dans les autonomies n’a pas été complètement défini », a déclaré le député de l’opposition Paul Klinsky. Le Comité Civique[10] de Santa Cruz a rejeté les accords du Congrès et a déclaré l'état d'urgence. Le chef de PODEMOS, Jorge Quiroga, a admis qu'il y avait des divergences dans son parti.
«Les néolibéraux n’ont plus qu’à creuser leur propre tombe. Le peuple bolivien a maintenant triomphé et nous devons nous organiser et nous préparer à gouverner et à prendre le pouvoir les vingt prochaines années », a déclaré le chef de la COB, Pedro Montes.
Les parlementaires de l'opposition qui autrefois ont mené ce pays à leur guise ont fini par être défaits, les mouvements sociaux qui soutiennent le processus de changement sont sortis renforcés : la Bolivie marche vers sa refondation.
[1] Whiphala : drapeau arc-en-ciel à sept bandes, symbole de l’empire Inca (Wikipedia)
[2] Pututu : trompette faite d’une coquille de conque ou d’une corne d’animal (Wikipedia).
[3] Carta Magna : la nouvelle Constitution.
[4] Rente Dignité : rente viagère de vieillesse accordée à tous les citoyens de plus de 60 ans.
[5] Allocation Juancito Pinto : L’allocation Juancito Pinto est censée permettre à des centaines de milliers d’écoliers de recevoir 20 euros annuels -un chiffre considérable en Bolivie- grâce aux ressources provenant de la nationalisation des hydrocarbures. (RISAL)
[6] MAS : Mouvement vers le Socialisme (Wikipedia)
[7] MNR : Mouvement Nationaliste Révolutionnaire (Wikipedia)
[8] UN : Front d’Unité Nationale (Wikipedia)
[9] PODEMOS : Pouvoir Démocratique Social, l’acronyme signifiant « nous pouvons » (Wikipedia)
[10] Comité Civique de Santa Cruz : Regroupant les organisations sociales, syndicales et patronales d’un département, les comités civiques ont pris une importance particulière sur la scène politique de certaines régions boliviennes, notamment à Tarija et Santa Cruz. Dans ce dernier département, ce sont les organisations patronales qui sont majoritaires, le comité civique étant considéré par certains de ses membres comme le « gouvernement moral » et légitime des Cruceños (habitants de Santa Cruz).Le Comité Civique de Santa Cruz est d’une certaine manière l’avant-garde de l’opposition au gouvernement d’Evo Morales et un fervent partisan de l’autonomie des départements (RISAL)
Evo Morales reçoit une bénédiction d'un prêtre guérisseur indigène durant une cérémonie à Santa cruz le 23 octobre 2008. 15 000 personnes venues de 18 pays de 3 continents y sont rassemblées pour une rencontre internationale de solidarité avec la Bolivie et Evo Morales qui doit durer 3 jours.
Le vice-Président Alvaro Garcia Linera danse avec une Équatorienne le 23 octobre à Santa Cruz.
_______________________________________________________
Source : Bolivia digna avanza hacia su refundación
Article original publié le 21/10/2008
Sur l’auteur
Photos Reuters Pictures
Traduit par Thierry Pignolet, révisé par Fausto Giudice, Tlaxcala
Versione italiana
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire