Texte lu à une table ronde sur Cuba organisée par Espace Alternatif à Madrid le 31 octobre 2008 avec la participation de Carlos Fernánez Liria et José Manuel Martín Medem.
Je vais vous lire un extrait d'un poème de A. Román, et le commenter ensuite à ma manière - qui ne sera pas exhaustive. La version originale est en galicien, et ce qui suit n’est qu’ une traduction littérale.
Le destin de l'homme
S’appelle socialisme
Il sert à être
Avec imagination et ordre
Des dieux perdus sur Terre
(...)
Mais personne ne croit
Ce qui a toujours existé ici
Comme nous le savons, les moyens de communication oeuvrent chaque jour pour que nous croyions autant ce qui n'a jamais existé ici que, parfois, ce qui est existe bel et bien -par exemple le manque de logements à Cuba. Ce n'est cependant pas une donnée que voulait dissimuler la Révolution cubaine. Le Ministre des Relations Extérieures Felipe Pérez Roque l'a expliqué lors de sa visite récente en Espagne : le gouvernement avait prévu de construire cette année cinquante mille logements. Les derniers ouragans ont causé des dégâts dans des centaines de milliers de foyers, mais ont provoqué en plus la destruction complète de soixante-cinq mille maisons ; de sorte qu'à Cuba existent en effet d'importants problèmes de logement qui trouvent leur origine dans le blocus, la colonisation, la pauvreté, la mauvaise gestion des ressources, les catastrophes naturelles, et caetera. Comme l’a remarqué Santiago Alba, ce qu’il n'y a pas à Cuba -mais qu’il y a bien dans les pays qui ont pressuré l’Amérique Latine pendant des années-, ce sont des logements vides par millions pendant que d’autres personnes n'ont pas de toit.
Néanmoins n’importe qui peut s’amuser à se mettre dans la peau d’un économiste d’un jour, et se mêler de ce que devrait faire le gouvernement d'un pays pauvre, exploité et soumis à un embargo pour devenir un pays du premier monde , mais - n’oubliez pas - sans exploiter les autres. Peut-être l'économiste inopiné découvrirait-il que le problème posé concerne plus d’un pays et plus d’un gouvernement. Même s’il s’agit d’un gouvernement révolutionnaire. Révolutionnaire ? Oui, à moins que nous ne suivions la règle de la rime disant : personne ne croit en l’existence d’une révolution à Cuba. Personne ne croit, par exemple, que ce pourcentage élevé d'universitaires cubains et cubaines -qui rencontre tant de défenseurs dans la droite européenne- a obtenu sa formation grâce au soulèvement d’un pays en armes contre ceux qui les privaient de leurs droits les plus élémentaires. Non, pensez-vous ! Au contraire, comme on le sait bien, il y a proportionnellement en Équateur, en Bolivie ou au Guatemala beaucoup plus d’universitaires que dans cette île qui a eu l'audace de vouloir conquérir son propre destin.
Fidel a dit une fois que le talent surgissait de la masse. Il y en a qui ne sont pas d’accord avec cela, et ils ont sans doute raison. Il arrive parfois qu’il soit plus facile de rencontrer cent bons spécialistes parmi dix mille étudiants en chimie, beaucoup plus facile en tout cas que lorsque les étudiants ne sont que cent. Mais tout cela n’est qu’un pur hasard, cela n’a rien à voir avec le développement des facultés personnelles. De même ce serait quelque chose de très curieux que de voir apparaître, parmi des millions d’enfants ayant accès au sport et à la culture, non seulement mille bons sportifs mais encore des générations entières éduquées et formées. Personne ne croit par conséquent que ceci a eu lieu à Cuba.
Belkis Ayón Manso (1967-1999), sans titre, lithographie mixte, La Havane 1999
Personne ne croit qu'existe à Cuba un précieux « capital humain » convoité par ses prétendus sauveurs, ceux qui veulent l'acheter pour trois fois rien, qui rêvent d’une Europe grouillante de Cubains qualifiés vendant leurs services à très bas prix alors que les grands défenseurs de la liberté d’exploitation à Cuba obtiendraient le démantèlement de tout ce que ce peuple en armes a commencé à construire il y a cinquante ans. Évidemment que non. Cuba est une île avec peu de ressources naturelles, qui a été colonisée et pillée à l’égal du restant de l’Amérique Latine et c’est pour cela, comme il n’y a pas eu de révolution, qu’il n’y a à peine que quelques ingénieures ou ingénieurs cubains, ou médecins, ou biologistes.
C’est pour cela aussi qu'en Espagne énormément de gens sont intéressés par les blogs d'auteurs paraguayens, les très nombreux films de cinéma uruguayen, l’abondante littérature haïtienne, les milliers de musiciens guatémaltèques et les centaines d'écrivains salvadoriens, évidemment beaucoup plus intéressés que par le cinéma cubain inexistant -comment en effet pourrait-il y avoir du cinéma dans une île pauvre et réprimée ?- et la famélique littérature cubaine - comment en effet pourrait-il y avoir, dans une île pauvre et réprimée, la volonté de favoriser la réflexion, la capacité offerte par la littérature de construire un éventail d'imaginaires, et caetera ?
La Constitution de la République de Cuba dit que ce pays fait siens les principes de l'internationalisme prolétarien et de la solidarité de combat des peuples, qu’il reconnaît la légitimité des guerres de libération nationale et de la résistance armée à l'agression et à la conquête. Mais ce ne sont que des mots creux, que personne ne croit. Ces histoires de Cubains qui sont morts en Angola ou de jeunes originaires de pays pauvres qui étudient à Cuba, ou celles de ces médecins, infirmiers et techniciens cubains qui délivrent de la solidarité par le monde... sont seulement des bobards. Et le plus grand d’entre ceux-ci est cette résistance armée à l'agression et la conquête. Au contraire, chacun sait que la population cubaine a été la plus docile du monde ; personne ne croit qu'elle s'est rebellée maintes et maintes fois contre chaque oppresseur de son pays. Personne ne croit qu'elle continue aujourd'hui à se battre contre le blocus, à faire valoir ce qui est injuste, à reconstruire les maisons démolies.
Comme personne ne croit que les pays conquérants, ceux qui sont habitués à envahir, piller et tuer, se soucient du fait que Cuba fasse une révolution, refusant d’être spoliée. Ce n'est que pure invention. Jamais Cuba ne s’est rebellée. La seule chose qui se passe aujourd'hui, c’est que les pays conquérants, producteurs et trafiquants d'armes ont, avec leur richesse, pallié à la faim, l'ignorance et la misère des pays pillés, et que maintenant ils veulent aussi le faire à Cuba. Quelqu'un a-t-il dit que Cuba a aidé des pays comme le Pakistan, Haïti, la Bolivie, le Timor Oriental, et tant d’autres du continent africain ? Non, personne ne le croirait. Ces pays-là et d’autres avaient été sauvés par les pays riches. Il y a déjà longtemps que les pays occidentaux ont éliminé la misère à l’intérieur et à l’extérieur de leurs frontières, avec générosité et par de grandes campagnes d'alphabétisation et d'extension de la santé publique. Le seul pays pauvre qui reste -et qui est récalcitrant-, c’est Cuba. C'est pour cela qu’on parle d’elle, qu’on la surveille, qu’on lui inflige des sanctions. Ce n’est pas qu’ils veulent faire des affaires à Cuba. Ce n’est pas qu’ils veulent profiter de son capital humain. Ce n’est pas qu’ils veulent écraser cette idée de solidarité de combat des peuples. Personne ne le croit.
Quant au socialisme qui a toujours existé là, quant à la possibilité que les êtres humains soient libres, justes et heureux : personne ne croit cela. Le capitalisme est meilleur parce qu'il nous permet d’alimenter en même temps la mesquinerie et l'estime de soi. L'homme nouveau est une création du capitalisme. Il est cet homme profondément injuste, intensément exploité et pourtant débordant d'autosatisfaction. Il est notre horizon. Personne ne croit rien d’autre.
Source : Glosa
Article original publié le 2/11/2008
Sur l’auteure
Traduit par Thierry Pignolet et révisé par Fausto Giudice, Tlaxcala
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