Paris, 29 Novembre 2008 - C’était il y a soixante ans de cela, une nuit particulièrement funeste pour les Arabes, qui brisa la continuité territoriale du Monde arabe, la rupture stratégique du continium entre la rive asiatique et la rive africaine de l’ensemble arabe, au point de jonction de la voie continentale et de la voie maritime de la «Route des Indes», à l’intersection du couloir syro-palestinien et son prolongement égyptien, des voies d’eaux de la frange méditerranéenne et des gisements pétroliers du Golfe, pour constituer le point de percussion d’une des plus grandes déflagrations de l’époque contemporaine, l’abcès de fixation du conflit ente le monde arabe et le monde occidental.
Cette nuit là, le 29 novembre 1947, l’Assemblée Générale des Nations Unies, la nouvelle communauté des nations créées selon le schéma de prépondérance occidentale, proclamait le plan de partage de la Palestine.
Pour les survivants du génocide hitlérien et les innombrables et nouveaux sympathisants de la cause juive tout heureux de compenser par une arabophobie lancinante, une judéophilie naissante, comme soulagés de leur passivité antérieure devant l’un des grands points noirs de l’histoire occidentale avec la traite négrière, la création d’Israël constituait une juste réparation d’un dommage à l’égard d’une communauté continuellement persécutée en Europe depuis plusieurs siècles dans leurs propres pays par leurs propres concitoyens.
Pour les Arabes, spécialement les Palestiniens, le Plan de Partage de la Palestine signifiait l’amputation d’un patrimoine national au profit d’une communauté exogène, en compensation de massacres dont pas plus les Arabes que les Palestiniens n’en étaient responsables.
Le malentendu né, ce jour-là, ne se dissipera jamais. Il explique les dérives mortifères de la dialectique entre le monde arabe et le monde occidental, dans un premier temps, entre l’Islam et l’Occident, dans un deuxième temps.
Le Royaume Uni, artisan de la promesse Balfour portant création du «Foyer National Juif » s’abstiendra lors de ce vote, conscient du caractère explosif du sujet, la France, en revanche, encore souillée par sa honteuse collaboration avec l’Allemagne nazie, emboîtera le pas aux États-Unis, se prononçant en faveur de ce partage toute heureuse de se dédouaner à bon compte. La surprise viendra de l’Union soviétique, qui pensait naïvement à l’époque que les Kibboutz israéliens étaient plus proches de son schéma idéologique que les «féodaux» «arabes», pourtant sous l’emprise coloniale occidentale.
1915-2004
La fonction pédagogique de Maxime Rodinson «Un intellectuel du XXème siècle»
Un homme, un seul, tentera, dès le départ, de combler ce fossé. De par sa formation intellectuelle, sa culture polyglotte, ses origines, son parcours professionnel, tout le prédestinait à ce rôle d’intermédiation, de faire fonction de passerelle entre sa culture d’origine et ses sympathies intellectuelles.
Issue d’une famille juive d’Europe orientale, communiste français parfaitement arabisant, enseignant le français dans la ville de Saida, au sud du Liban, homme de courage et de conviction, Maxime Rodinson, assumera, cette nuit-là, la terrible responsabilité pédagogique d’expliquer à ses camarades arabes les dispositions de la résolution 181 de l’Assemblée générale de l’ONU. Peine perdue.
L’Urss ne se remettra jamais de cette méprise. Erreur de jugement fatale qui vaudra aux communistes arabes d’être pourchassés pour athéïsme et matérialisme. La caution soviétique au plan de partage va en effet déclencher une vague de désertions dans les rangs communistes arabes désormais constamment tenus en suspicion et une vague de répression à leur encontre. Le dirigeant communiste libanais Farjallah Hélou sera dilué dans l’acide par les services syriens aiguillonné par les Égyptiens, le parti communiste soudanais décapité par Gaafar el Nimeiry avec l’aide du Libyen Mouammar Kadhafi, de même que les partis communistes d’Iran, d’Égypte et d’Irak.
Maxime Rodinson se refusera, lui, de «faire de la question juive une question métaphysique», préférant l’insérer dans une condition historique précise. Il demeurera fidèle à sa ligne de conduite, malgré les tracasseries en tous genres dont il sera l’objet de la part de ses présumés coreligionnaires. Une ligne de conduite qui se résumait par une formule. A savoir: «le combat pour la liberté ne saurait se concevoir que dans un cadre global de progrès de la société toute entière», expliquera l’économiste égyptien Samir Amin, un de ses interlocuteurs privilégiés, dans un témoignage recueilli par le politologue Sébastien Boussois dans un livre «Maxime Rodinson, un intellectuel du XX me siècle» paru à l’automne 2008 à Paris.
Vingt ans plus tard, il empruntera une démarche identique auprès de l’opinion occidentale, en 1967, avec son retentissant article de la revue « Les Temps Modernes» au titre ravageur: «Israël, fait colonial ?», récidivant son argumentaire dans un ouvrage paru aux Éditions du Seuil, Israël et le refus arabe, afin de sensibiliser l’opinion occidentale sur les raisons qui fondent le refus arabe de l’existence d’Israël. Au -delà de ses deux titres de gloire, l’œuvre de Maxime Rodinson foisonne d’ouvrages de référence tels «Mahomet », « Marxisme et Monde Musulman », ou enfin «Peuple juif ou problème juif ?», qui lui vaudra d’être traité d’ «antisémite»et de « renégat».
Maxime Rodinson «antisémite» comme se plairont à le traiter des folliculaires poussifs et haineux, rejetés depuis longtemps dans les oubliettes de l’Histoire telle la revue «Le temps retrouvé», à l’instar des intellectuels non-conformistes contemporains voués aux mêmes gémonies tels l’ancien dirigeant de l’organisation humanitaire « Médecins sans frontières» Rony Braumann, l’écrivain Eric Hazan, éditeur de Norman Finkelstein, auteur de «L’Industrie de l’Holocauste» ou encore le «négationiste» Noam Chomsky , ou enfin le mensuel Le Monde diplomatique ?
Non, Maxime Rodinson n’est pas «antisémite». Non, franchement pas. Absolument pas. C’est un intellectuel transversal, un pluridisciplinaire transcendant les données de sa naissance. Le grand mérite de Sebastien Boussois est de nous avoir restitué, dans un livre compact, à travers le témoignage de certains de ses compagnons de route, les riches facettes de «Maxime Rodinson, un intellectuel du XXème siècle», au «parcours hors norme», à «l’humanisme hors pair».
Non pas de le sortir de l’oubli, Maxime Rodinson ne s’oublie pas tant est monumentale et impérissable son oeuvre, mais de secouer la léthargie mentale amiante pour le plus grand bénéfice de l’exigence de l’esprit critique.
«Un intellectuel comme Maxime Rodinson dans un mouvement irréversible d’américanisation de la connaissance et de vulgarisation du savoir sera de plus en plus rare dans nos sociétés», diagnostiquera l’historien algérien Mohamed Harbi, un des interlocuteurs de Maxime Rodinson dont le témoignage figure dans l’ouvrage.
Maxime Rodinson, un intellectuel du XX ème siècle par Sebastien Boussois, Riveneuve Editions- Paris Collection «Bibliothèque des idées», 15 euro.
Chercheur associé à l’Ecole pratique des hautes études (Sorbonne), Sebastien Boussois est également l’auteur avec Dominique Vidal du livre «Comment Israël expulsa les Palestiniens» (Editions de l’Atelier)- 2007
Texte de la Résolution 181 sur le partage de la Palestine (29 novembre 1947)
Source : http://renenaba.blog.fr/2008/11/28/le-29-novembre-1947-une-nuit-funeste-pour-les-arabes-5124771
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