mercredi 1 avril 2009

La seule réponse sensée au Sommet du G20

Un projet téméraire nommé révolution sociale
Discours de Jutta Ditfurth devant le Bloc social-révolutionnaire et antinational à la manifestation anti-crise de Francfort sur le Main le 28/03/2009
Traduit par Michèle Mialane, révisé par Fausto Giudice,
Tlaxcala
Original : Ein tollkühner Plan namens soziale Revolution
Un plan muy audaz llamado revolución social
Sur l’auteure




Dans un récent journal télévisé un permanent d’IG Metall [syndicat des métallos, NdR] a demandé au gouvernement allemand de rétablir des « rapports normaux». Les rapports entre le capital et l’État pourraient être « normaux » ? Erreur fondamentale ! Et le capitalisme n’est-il pas suffisamment meurtrier dans son « état normal » ? Deux ans AVANT la crise économique mondiale le milliardaire Warren Buffett déclarait au New York Times :

« Bien sûr que nous sommes en pleine lutte des classes, mais c’est ma classe, celle des riches, qui fait la guerre, et nous sommes en train de la gagner. »

Avec la crise mondiale cette guerre est désormais entrée dans une nouvelle phase, encore plus dure.

Bien sûr les puissants essaient d’exporter un maximum de retombées de la crise vers l’aire tricontinentale, le « Tiers Monde. » La seule Chine comptera à la fin de l’année parmi les travailleurs itinérants 40 millions de chômeurs hors d’état de nourrir leur famille. L’an dernier, on a déjà diminué de moitié l’aide alimentaire que les organisations onusiennes fournissent aux États africains.

Pour faire tenir tranquilles les sujets de la République fédérale on manie tour à tour consommation et répression. Des intérimaires ont été licenciés sans bruit par centaines de milliers en quelques semaines. Pas de grèves de solidarité, pas de grèves sauvages, rien. Plus d’un million de travailleurs à temps partiel seront au chômage à l’automne. S’ils n’acceptent pas leur « destin » et Hartz IV1, on fera appel pour « résoudre » la question sociale à l’armée, la police et la justice, en recourant au besoin aux foyers-asiles, aux détentions administratives et à la psychiatrie.
L’ordre social allemand reste un ordre carcéral.

Pendant que nos chefs d’État veulent nous faire croire qu’ils agissent dans notre intérêt, ils œuvrent en réalité dans l’intérêt de ceux qu’ils représentent : les détenteurs de capitaux. Et l’accès aux réserves énergétiques est central dans la concurrence entre capitalistes. C’est une des raisons pour lesquelles, en dépit de la crise économique mondiale et de la misère des masses, les USA se préparent à intensifier la guerre en Afghanistan.

Les bastions centraux du capitalisme réussiront-ils à maintenir sous contrôle leurs ghettos, qui ne cessent de s’étendre, et à sauver du naufrage une fraction conséquente de sa classe moyenne ? Si oui : à quel prix, en passant sur les cadavres amoncelés de qui ? Plus d’êtres humains que jamais se noieront dans la Méditerranée en essayant d’atteindre les côtes européennes et cela sous les yeux des policiers allemands, entre autres.

Et nous : découvrirons-nous en quels points faibles attaquer le système pour le renverser ?

La crise économique mondiale présente d’énormes avantages pour ceux d’entre les capitalistes qui s’en tirent et sont en position d’avaler leurs concurrents. Le capitalisme se sert de la crise pour se débarrasser de ce qui reste encore de droits humains démocratiques et sociaux et des exigences écologiques de tous ordres, bref, de tout ce qui fait obstacle aux profits.

La misère n’engendre pas automatiquement une évolution de gauche, chez nous moins qu’ailleurs. L’Allemagne est de tradition autoritaire, la résistance de gauche n’y a guère connu de succès. Il a fallu attendre les années 60 pour qu’un émigré juif qui avait fui ses bourreaux allemands, Herbert Marcuse, ramène en Allemagne le droit à la « résistance » (en français dans les texte, NdT). Il écrivait :

« Je crois que les minorités opprimées et vaincues possèdent un « droit naturel » à la résistance, qui les autorise à employer des moyens illégaux, dès lors que les moyens légaux s’avèrent insuffisants … »(Tolérance répressive, 1964)

Nos adversaires essaieront cette année de nous faire le coup du « destin commun de la nation.» Mais la nation allemande est toujours contre l’égalité sociale, contre cette liberté qui délivre de l’exploitation, du racisme, de l’antisémitisme et du sexisme. Elle ignore aussi bien la solidarité sans frontières qu’une large émancipation sociale.

Une vie vraiment humaine pour tous ne peut se concevoir que dans une société sans travail salarié et sans capital, sans la croissance illimitée de l’économie capitaliste avec son obligation de profit, de consommation et de concurrence.

Pour parvenir à ce but élevé: « renverser toutes les structures qui font de l’homme un être humilié, asservi, abandonné et méprisable » selon la formule de Karl Marx, il faut ébranler l’ordre établi. Peut-on imaginer plus belle utopie qu’un monde où tous auraient la même chance de déployer librement la totalité de leurs potentialités sociales, intellectuelles et créatives ?

Organisons des protestations et des actions, enfonçons des coins dans chaque fissure, chaque fugitive ouverture que nous offre le temps, avant que l’ordre ancien meurtrier, ne les colmate.

La vieille trilogie est toujours d’actualité : Théorie, action, organisation.

Théorie : faire travailler sa tête, lire, réfléchir, discuter, développer son intelligence. Mais sans action & pratique, la théorie risque de s’enfermer dans sa tour d’ivoire. Quant à la pratique qui ignore la théorie, c’est le sectarisme ou la criminalisation qui la guette. Donc action et théorie. Mais que sont ces deux-là sans organisation ?

L’organisation est aussi un tabou au pays des « réseaux » qui n’engagent à rien, si chers au cœur des jeunes de la classe moyenne, - un tabou bien vu des puissants.

Les alliances ne fonctionnent pas au-dessous d’un certain niveau. Nous ne devrions pas faire l’impasse sur notre but : l’abolition du capitalisme. Il n’est pas compatible avec les organisations social-démocrates, qu’elles s’appellent le SPD ou La Gauche (Die Linke). C’est évident, depuis la coalition SPD/Linke à Berlin, depuis l’automne allemand (1977, NdR), depuis les lois d’exception (1967-1968), depuis Ebert et Noske2, depuis la révolution trahie de novembre 18/19 et le vote des crédits pour la guerre en 1914.

Les alliances d’une gauche anticapitaliste et indépendante de l’État ne peuvent exister que dans des zones antinationales et libérées du réformisme.

Le sujet révolutionnaire classique, la classe ouvrière dépositaire d’une conscience de classe collective n’existe plus. Nos alliés potentiels , ce sont les migrant-e-s, les sous-prolétaires, les gosses des rues, les simples ouvriers, les élèves, étudiant-e-s, travailleurs et travailleuses intérimaires, les intellectuel-le-s. Cela demande un effort, mais c’est aussi assez intéressant d’aller regarder au-delà des œillères petite-bourgeoises de son propre milieu.

On peut se révolter avec des gens qui n’aiment pas la même musique que vous. Mais là j’avoue les limites de ma propre tolérance : j’exclus définitivement la musique folklorique, l’opérette et les marches militaires.

Nous voulons une société fondée sur l’égalité et la solidarité, d’où aura disparu l’exploitation et où personne ne dominera plus personne, une société où la base décidera démocratiquement de son mode de vie et de travail. C’est un projet téméraire. La voie qui mène à sa réalisation, nous l’appelons révolution sociale.
Et qu’en adviendra-t-il ? Laissons Marx nous répondre :

« L’histoire du monde serait certes bien commode, si l’on n’engageait le combat qu’en étant sûr de le gagner. »

Notes

1 - La loi Hartz IV est la quatrième étape de la réforme du marché du travail menée en Allemagne par le gouvernement Schröder de 2003 à 2005. C'est l'aspect le plus controversé de ces réformes. Hartz IV a donné lieu à plusieurs semaines de manifestations hebdomadaires à la fin de l'été 2004, surtout à l'Est du pays. La mise en application à partir du 1er janvier 2005 a également été marquée par d'importantes difficultés à traiter les dossiers et à remplir le rôle d'orientation et de conseil confié aux nouveaux Jobcenter.
La mesure la plus importante de cette réforme est la réduction des indemnités versées aux chômeurs de longue durée qui refuseraient d'accepter des emplois en-dessous de leur qualification ; de plus, ces chômeurs pourraient être embauchés à des salaires inférieurs (1€/heure) à la convention collective du secteur. D'autres mesures sont critiquées, comme la possibilité de réduire les allocations d'un chômeur dont les ascendants ou descendants ont des économies. Ces mesures du SPD, votées avec le soutien de la majorité CDU du Bundesrat, ont donné lieu en particulier en ex-RDA à des manifestations hebdomadaires le lundi, par analogie avec les Montagsdemos des années 1980 contre le régime est-allemand. Cette mobilisation a contribué aux revers électoraux de la majorité de Gerhard Schröder en 2005.
Avec cette réforme, les indemnités de chômage ne sont plus versées pendant 32 mois, mais pendant 12 mois : c'est le « Arbeitslosengeld I ». Puis, le chômeur est considéré comme chômeur de longue durée et reçoit le « Arbeitslosengeld II », l'équivalent du RMI (environ 350 euros). Ces allocations sont de plus en plus soumises aux conditions évoquées plus haut. Cependant, les emplois à 1 euro de l'heure semblent être un échec et sont en perte de vitesse. Le nom « Hartz IV » a ainsi été largement associé par les Allemands à ces réductions des prestations versées à de nombreux sans-emplois. (Source : wikipedia)

2 - Sociaux-démocrates, respectivement Chancelier, puis Président du Reich et Ministre de l’Armée sous la République de Weimar, ont réprimé dans le sang la révolution spartakiste (novembre 1918-janvier 1919) et organisé l’assassinat de ses meneurs Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht après avoir voté en s’opposant à eux au sein du SPD les crédits de guerre en 1914. (NdT)

Le 2 mai 2009 paraît le nouveau livre de Jutta Ditfurth sur les causes et conséquences de la crise économique mondiale et les perspectives d'une résistance de gauche anticapitaliste et indépendante de l'État.
Jutta Ditfurth: ZEIT DES ZORNS. Streitschrift für eine gerechte Gesellschaft (Le temps de la colère. Écrit de combat pour une société juste)
München: Droemer Verlag 2009, ca. 280 S. 16,95 Euro
Pour en savoir plus :
www.jutta-ditfurth.de + www.oekolinx-arl.de + www.oekologische-linke.de

Illustrations : affiches de Mai 1968. Source : Esprit(s) de 68, exposition de la BNF

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