Original : Taliban Exploit Class Rifts in Pakistan
PESHAWAR, Pakistan — Les talibans ont encore avancé au Pakistan en organisant une révolte de classe qui exploite la fracture sociale entre un petit groupe de grands propriétaires fonciers et leurs métayers sans terre, à en croire des fonctionnaires et des observateurs locaux.
3000 personnes réunies en meeting le 10 avril apportent leur soutien au projet de loi ouvrant la voie à l'instauration de la loi islamique dans le Swat. Photo Naveed Ali/Associated Press
Leur stratégie a ouvert la voie à une prise de pouvoir par les talibans dans la Vallée du Swat, où le gouvernement a autorisé l’imposition de la loi islamique cette semaine, et cela implique de grands dangers pour le reste du Pakistan, en particulier pour ce qui est la cible principale des militants, la populeuse province du Pendjab.
Dans le Swat, ce que rapportent ceux qui ont fui ce district indique clairement que les talibans ont pris le pouvoir en écartant quatre douzaines de grands propriétaires qui détenaient l’essentiel du pouvoir.
Pour y arriver, les talibans ont organisé les paysans en bandes armées qui sont devenues leurs troupes de choc, selon des habitants, des fonctionnaires et des observateurs.
Cette démarche a permis aux talibans d’offrir des bénéfices économiques à des gens frustrés par un gouvernement laxiste et corrompu, tout en imposant une forme stricte d’islam par la terreur et l’intimidation.
« C’est une révolution sanglante qui a lieu au Swat », dit un haut responsable gouvernemental pakistanais chargé du district, qui a requis l’anonymat par crainte de représailles des talibans. « Cela ne m’étonnerait pas que ça finisse par balayer l’ordre étable au Pakistan. »
L’habileté des talibans à exploiter les divisions de classe ajoute une nouvelle dimension à l’insurrection et suscite l’ alarme sur les risques encourus par l’ensemble du Pakistan, un pays resté en grande partie féodal.
À la différence de l’Inde après l’indépendance de 1947, le Pakistan a maintenu une classe supérieure réduite qui a conservé ses vastes richesses tandis que ses travailleurs restaient soumis, selon les fonctionnaires et observateurs. Les gouvernements qui se sont succédés au Pakistan ont échoué à fournir au pays une réforme agraire et même les formes les plus élémentaires d’éducation et de structures sanitaires. Il n’existe pas de possibilités d’avancement pour la très grande majorité des ruraux pauvres.
Les observateurs et fonctionnaires avertissent que la stratégie mise en œuvre au Swat peut facilement être transplantée au Pendjab, disant que cette province, où des groupes militants font déjà des démonstrations de force, est mûre pour les mêmes convulsions sociales que le Swat et les zones tribales.
Mahboob Mahmood, un juriste pakistano-américain et ancien camarade de classe du président Obama, dit : « Le people pakistanais est psychologiquement mûr pour une révolution. »
Les militants Sunnites profitent des profondes divisions de classes fortement enracinées au Pakistan, dit-il. « Les militants, pour leur part, promettent bien plus que simplement la prohibition de la musique et de l’école », dit-il. « Ils promettent aussi une justice islamique, un gouvernement efficace et une redistribution économique. »
La stratégie des talibans dans le Swat, une zone peuplée par 1,3 million de personnes, avec des vergers fertiles, des vastes parcelles boisées et des précieuses mines d’émeraude, s’est déployée en étapes sur une période de cinq ans, expliquent les observateurs.
L’insurrection a connu son apogée Durant ces deux années écoulées, quand les talibans, renforcés par des combattants expérimentés des zones tribales ayant des liens avec Al Qaïda, ont contraint l’armée pakistanaise à la paralysie, dit un agent de renseignement pakistanais travaillant dans la zone.
Les insurgés s’en sont pris à toutes les composantes du pouvoir : les propriétaires fonciers et les dirigeants élus – qui sont généralement les mêmes – et des forces de police sous-payées et sous-motivées, selon Khadim Hussain, professeur de linguistique et communication à l’université Bahria d’ Islamabad, la capitale.
Simultanément, les talibans ont exploité les ressentiments des métayers sans terre, en particulier le fait qu’ils avaient de nombreuses procédures judiciaires non résolues contre leurs maîtres, dans un système judiciaire lent et corrompu, selon M. Hussain et des habitants qui ont fui la zone.
Leurs doléances ont été alimentées par un jeune militant, Maulana Fazlullah, qui a lancé une station de radio FM en 2004pour en appeler aux exclus du système électoral et politique. En 2006, M. Fazlullah a constitué une force irrégulière de paysans sans terre armés par les talibans, ajoutent M. Hussain et d’anciens résidents de la zone.
Au début, les pressions sur les propriétaires terriens étaient subtiles. Tel propriétaire était soumis à des pressions pour retirer son fils d’une école de langue anglaise jugée offensante par les talibans. D’autres étaient contraints de faire des donations aux talibans.
Puis, fin 2007, Shujaat Ali Khan, le plus riche des propriétaires, ses frères et son fils Jamal Nasir, maire du Swat, sont devenus des cibles.
Après que Shujaat Ali Khan, un membre dirigeant de la Ligue musulmane-Q, eut failli se faire tuer par une bombe visant son véhicule, il a fui à Londres. Un de ses frères, Fateh Ali Mohammed, ancien sénateur, lest aussi parti et vit maintenant à Islamabad. M. Nasir a aussi pris la fuite.
Puis, les talibans ont publié une liste des 43 “homes les plus recherchés” , raconte Muhammad Sher Khan, un propriétaire qui est un politicien du Parti du people pakistanais, et dont le nom était sur la liste. Tous ceux qui étaient nommés reçurent l’ordre de se présenter aux tribunaux talibans, sans quoi ils risquaient la mort, dit-il. “Quand vous savez qu’ils vont vous pendre et vous tuer, comment oseriez-vous retourner là-bas ?”, nous a dit M. Khan, au téléphone, depuis sa cachette au Pendjab. “Être sur la liste, ça veut dire ‘Ne reviens pas au Swat’ ”.
"Paradise Angels" ? Militants de la révolution sociale dans le Swat. Photo Rashid Iqbal/European Pressphoto Agency
Un des principaux instigateurs de l’ordre nouveau a été Ibn-e-Amin, un commandant Taliban de la même zone que les propriétaires fonciers, appelée Matta. Le fait qu’il vienne de Matta, et sache qui était qui, a augmenté la pression sur les propriétaires, explique M. Hussain.
Selon les medias pakistanais, M. Amin avait été arrêté en août 2004, soupçonné de liens avec Al Qaïda, et relâché en novembre 2006. Un autre agent de renseignement pakistanais dit que M. Amin fréquentait une madrasa dans le Nord-Waziristan, le bastion d’Al Qaïda dans les zones tribales, où il a apparemment reçu des instructions.
Chaque fois que des propriétaires prenaient la fuite, leurs métayers étaient récompensés. Ils étaient encouragés à abattre les arbres des vergers et à vendre le bois pour leur propre compte, disent les anciens résidents. Ou bien on leur disait de payer leur fermage aux talibans au lieu de le payer à leurs maîtres désormais absents.
Deux mines dormantes d’émeraudes ont été rouvertes sous contrôle taliban. Les militants ont annoncé qu’ils percevraient un tiers des revenus.
Depuis que les talibans ont contraint l’armée à une trêve en février dernier, les militants ont approfondi leur démarche et ont clarifié qui tenait les rênes.
Quand des bureaucrates provinciaux visitent Mingora, la capitale du Swat, ils doivent maintenant obéir aux ordres des talibans et s’asseoir par terre, entourés de talibans armés et portant dans certains cas des gilets d’attentats-suicides, dit le responsable provincial.
Dans beaucoup de zones du Swat les talibans ont exigé que chaque famille donne un fils qui recevra un entraînement de combattant, affirme Mohammad Amad, directeur exécutif de l’ONG Initiative for Development and Empowerment Axis.
Un propriétaire qui a pris la fuite avec sa famille l’année dernière raconte qu’il a reçu un message effrayant la semaine dernière. Ses métayers l’ont appelé à Peshawar, la capital de la Province frontalière du Nord-Ouest, dont fait partie le Swat, pour lui annoncer que sa vaste maison avait été détruite.
Mais l’information la plus accablante concernait ses finances. Il avait vendu sa récolte de fruits d’avance, bien qu’à un quart du prix de l’année dernière. Mais même ce modeste produit ne lui reviendrait pas, lui ont dit ses fermiers, relayant le message taliban. L’acheteur avait reçu l’ordre de donner l’argent aux talibans.
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