par Gilad Atzmon, 4/5/2009. Traduit par Esteban García, édité par Fauto Giudice, Tlaxcala
Original: From Victimhood to Aggression: Jewish Identity in the light of Caryl Churchill’s Seven Jewish Children
Español: De víctimas a agresores: la identidad judía a la luz de la obra de teatro Siete niños judíos, de Caryl Churchill
L'identité est un concept vraiment vicieux. Elle peut signifier plusieurs choses opposées à la fois, mais elle peut aussi ne rien signifier du tout. On peut commencer à se poser des questions sur l'identité elle-même dès qu’il y a danger de la perdre. Le cas de l'identité juive en est un bon exemple. D'après ce que disent les livres de littérature et d’histoire, les juifs ont commencé à explorer la notion de leur identité après avoir été émancipés, assimilés et après l'effondrement de l'autorité des rabbins. Bref, les juifs ont commencé à se demander ce qu’ils étaient une fois dissoute la notion qu'ils avaient d’eux-mêmes en tant que collectif. Tout indique que la notion d'identité juive est née pour remplacer la notion orientée racialement, tribale et rabbinique du juif par un discours « libéral » acceptable et tolérant qui aspirerait à une conscience universelle.
À l'ère post-moderne, l'identité est considérée comme un moyen d'imposer une sorte de légitimité à la séparation en tant que conscience collective civile et politique décente. De manière générale, l'identité est un concept social qui permet à la figure considérée comme marginale de célébrer son symptôme d’unicité tout en se considérant comme un membre parfaitement qualifié d’une plus vaste société ouverte. La politique identitaire, en conséquence, est un concept qui intègre les diverses marginalités dans une image idéale fantasmée de la société multiculturelle et multiethnique.
Alors que la politique identitaire est centrée sur une célébration imaginaire des différences dans un monde lui-même considéré comme un village cosmopolite et global, l'identité juive (quelle que soit sa position politique, de gauche, du centre ou de droite) est un scénario unique qui est là pour jouir de tout sans rien offrir en échange. La politique identitaire juive cherche la légitimité avec l’exigence que l’on accepte et respecte les juifs pour ce qu’ils sont : leur histoire, leur souffrance, leurs croyances religieuses et leur culture, mais tandis qu'ils exigent la reconnaissance ils oublient étonnamment d'assimiler toute notion de tolérance envers les autres. Toutes les tendances de la politique identitaire juive maintiennent un code d’appartenance élémentaire et fondamentalement tribale. Qu'il s'agisse de sionistes de droite - qui tiennent à l'identité juive aux dépens du peuple palestinien -, ou des Juifs pour la Justice gauchos qui, pour quelque raison, célébrent leurs aspirations à la paix dans un club exclusif pour juifs -, il apparaît que le spectre entier de l'identité politique juive est une indivisible pratique tribale et reflète l’absence d'une authentique conscience de ce que le fait de vivre parmi les autres exige l'acceptation d'attitudes universelles.
Un examen rétrospectif de l'histoire permet de découvrir ce modèle de comportement. En tenant compte que le discours identitaire a commencé en réaction à la désastreuse réalité nationaliste du XXème siècle, il a permis de donner un sens d’appartenance à une réalité civique tolérante de formation récente. Mais la politique identitaire juive a pris un cours différent. Dans le concept d'identité juive, la souffrance et l’état de victime sont établis comme des symptômes exclusivement juifs. Pour un juif, avoir son identité signifie garder la douleur juive, visiter et revisiter l'agonie. Être juif c’est croire religieusement à l’holocauste. Être juif signifie être persécuté. Être juif c’est être capable de trouver des antisémites sous chaque pierre et à chaque coin. Être juif c’est faire la chasse à des nazis séniles jusque dans leurs tombes. Le pardon ne semble pas faire partie de la vision des tenants en chef de la politique identitaire juive.
Avec cette notion et en tenant compte du projet expansionniste du sionisme, il n’est pas surprenant que l'idéologie collective juive se soit transformée en un balancement schizophrène et bipolaire entre victimitude et agression.
Vidéo de Sept enfants juifs (sous-titrée en français)
De vrais mensonges
L'œuvre de théâtre Sept enfants juifs, de Caryl Churchill, écrite et représentée pendant la campagne militaire dévastatrice israélienne à Gaza, éclaire sur la confusion qui existe dans l'identité juive. Il s'agit d'un voyage historique de la victimitude à l'agression. En neuf petites minutes seulement, nous assistons à une trajectoire qui débute pendant l’horreur de l’holocauste,
Ne lui dis pas qu'ils vont la tuer
Dis-lui que c’est important qu'elle ne fasse pas de bruit
[…]
Dis-lui qu’elle se blottisse dans le lit
pour finir, à un moment donné, avec les Israéliens dans le rôle des nazis :
dis-lui qu’ils sont des animaux qui vivent maintenant parmi les décombres, dis-lui que peu m'importerait si nous les exterminions, […] dis-lui que lorsque je vois une de leurs fillettes couvertes de sang je suis heureux car cette fillette couverte de sang, ce n'est pas elle…
Même si la lecture que Churchill fait de l'histoire juive récente, la transformation qui part de l'innocence et qui va jusqu'à la barbarie la plus impitoyable n'est pas nouvelle, le message est exprimé d'une manière intensément profonde et sensible.
Mais il y a un autre aspect beaucoup plus caché dans l'œuvre de Churchill, qui, en général, est rarement discuté ou commenté. Churchill, tout comme d'autres auteurs impliqués dans l'analyse de l'identité juive, a très bien détecté les qualités élastiques inhérentes à l'identité, l'histoire et la réalité juives. Les juifs peuvent être tout ce qu’ils veulent pourvu que cela serve à une cause ou à une autre. Il en résulte que leur discours n’est ni cohérent ni constant
Dis-lui que c’est un jeu (comme si nous autres, les juifs, étions au-dessus de tout)
Dis-lui que c’est grave (comme si maintenant nous étions en train de couler)
Mais ne l’effraie pas (comme si de nouveau nous étions au-dessus de tout)
Ne lui dis pas qu'ils vont la tuer (comme si tout était sur le point de s’achever dans les secondes à venir)
L'historien israélien Shlomo Sand a analysé les qualités fantasmatiques du discours historique juif dans son livre récent Comment le peuple juif fut inventé. Sand parvient à démontrer sans aucun doute raisonnable que le peuple juif n'a jamais existé comme une « race-nation » et n’a partagé aucune origine commune. Au contraire, ils sont un mélange bariolé de groupes qui à diverses époques de l'histoire se sont convertis à la religion juive. De même, à un moment donné ils se sont inventé une identité nationale. La triste réalité est que les qualités fantasmatiques inhérentes à la politique identitaire juive n'empêchent pas que les juifs célèbrent leurs aspirations aux dépens du peuple palestinien. La raison est très simple, Sand le démontre sur le plan académique et Churchill la transmet sur le plan théâtral : l'identité juive est domaine extrêmement flottant.
Dis-lui que ses oncles sont morts
Ne lui dis pas qu'ils les ont tués
Dis-lui qu'ils les ont tués
Ne l'effraie pas.
Le discours juif est l'art de raconter une histoire complètement étrangère aux faits ou à la vérité. En ce sens, il faut s’assurer de ne pas dire à la fillette « qu'ils les ont tués» pour qu'elle puisse garder le rêve cosmopolite. Ou peut-être est-il préférable que « dis-lui qu'ils les ont tués » pour qu'elle retourne au ghetto avec nous. Une autre possibilité c’est qu'elle puisse apprendre la leçon nécessaire et qu’elle s’inscrive dans l'armée pour tuer les ennemis d'Israël. Dans chacun des deux cas, il faut s'assurer de « Ne pas l’effrayer», comme si elle n'était pas déjà suffisamment effrayée.
L'identité juive est une forme de détachement tactique. Il s'agit d'une stratégie méthodologique qui crée un ordre symbolique imaginaire avec un programme clairement pragmatique,
Dis-lui qu'ils ont des kilomètres et des kilomètres de terres qui sont à eux, mais en dehors d'ici
avec cela on fait croire à la petite fille que les Palestiniens et les Arabes sont littéralement la même chose.
Dis-lui encore une fois que cette terre promise est la nôtre
comme si les juifs étaient collectivement un peuple, comme si leur origine était à Sion, comme si la promesse biblique avait une validité notariale, comme s'ils croyaient vraiment en la Torah.
dis-lui que peu m’importe si le monde nous hait,
dis-lui que nous autres haïssons mieux,
dis-lui que nous sommes le peuple élu,
Tout comme Sand, Churchill expose de manière éloquente le niveau zéro d'intégrité dans le noyau, dans le discours et dans le narratif de la cause nationale juive. Le projet historique juif n’est pas de dire la vérité. Au contraire, ce qu’il cherche c’est à créer une « vérité » qui s’adapte à ses besoins tribaux d’aujourd’hui. Il y a une vieille blague qui se moque des idéologues marxistes. Elle raconte que si les faits ne cadrent pas avec le déterminisme marxiste des livres de texte, ce que l’on doit faire c’est changer les faits. Le discours de l'identité juive utilise exactement la même stratégie. Des faits et des mensonges sont fabriqués au fur et à mesure. En quelques mots, ce que tu dois faire c’est « lui dire » que quelquefois nous avons besoin d'être des victimes innocentes et d'autres fois de piller, tuer ou pilonner avec des armes de destruction massive. Tout dépendra de ce qui conviendra le mieux à un moment donné à nos intérêts tribaux.
Caryl Churchill
Victimitude : naissance d'une collectivité
Churchill semble être extrêmement perspicace quand elle décrit les effets destructeurs de la politique identitaireité juive qui transforme l'État juif en une machine à tuer de sang-froid :
dis-lui que peu m'importe si le monde nous hait
dis-lui que nous-autres haïssons mieux (comme si elle ne le savait pas déjà après la destruction de Gaza)
dis-lui que nous sommes le peuple élu (comme si elle ne s’en était pas encore déjà rendu compte)
Mais il convient de s’interroger sur l'identité de cette fillette innocente à laquelle se réfère Caryl Churchill. Qui est la protagoniste qui reçoit tous les messages du texte, quelle est l'identité occulte qui suit chaque ligne de cette fascinante œuvre de théâtre ?
L'image de victime d'une jeune innocente est un des piliers de l'identité juive et de l'image de victime du juif postérieur à l’holocauste. Anne Frank est probablement le personnage le plus célèbre dans ce genre littéraire. Mais en même temps qu’elle est victime innocente, Frank est extraordinairement efficace comme objet culpabilisateur des gentils.
Représentation de Sept enfants juifs à Londres
Comme tout le monde sait, Anne Frank est morte tragiquement à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Elle n'a pas pu jouir du nouveau-né « État pour les seuls juifs ». Toutefois, dans le contexte de la politique identitaire juive, Anna Frank a été adoptée comme icone culturelle juive par un processus de transmission collective. En pratique, elle est parfaitement intégrée dans le cœur de tout individu qui s’identifie comme juif. Ceux qui succombent à la notion d'identité juive insistent à se considérer comme innocents et sans défaut. À partir de la perspective politique identitaire juive, la nation juive est une tribu peuplée de millions d’innocentes Anne Frank.
Je me permets de suggérer que la fillette de Churchill est la métaphore du « peuple d'Israël ». La récente nation juive est un concept très jeune noyé dans la rectitude et l'innocence. La fillette réceptrice de l'action de l'œuvre est là pour donner une image d'innocence sans défaut. Mais cette innocence métaphorique de la fillette est aussi ce qui transforme les crimes d'Israël en quelque chose de si sinistre. À la lumière de la propagande israélienne, qui présente l'État juif comme une entité intègre, innocente et vulnérable, la réalité horrible de la barbarie qu’elle met en pratique conduit à une dissonance cognitive inévitable.
La réalité du nettoyage ethnique raciste de l’« État pour les seuls juifs », avec les images de la machine de guerre israélienne qui largue des tonnes de phosphore blanc sur les Gazaouis ne laisse guère de place au doute. Israël n'a rien à voir avec l'auto-image fantasmatique « d'une fillette innocente », qui met en très mauvaise situation le projet publicitaire de la hasbara (propagande) israélienne, car il s'agit d'une fillette horriblement inquiète qui est passée de l’état de victime à celui de bourreau en donnant peu après des preuves d’une férocité, d'un sadisme et d’une monstruosité sans égal.
Dis-lui qu’aujourd’hui c’est nous qui avons la main de fer, dis-lui que c’est la brume de la guerre, dis-lui que nous n’arrêterons pas de les tuer tant que nous ne nous sentirons pas en sécurité, dis-lui que j’ai ri quand j'ai vu les policiers morts, dis-lui qu’ils sont des animaux qui vivent maintenant parmi les décombres, dis-lui que peu m'importerait si nous les exterminions,
Tout laisse supposer que nous sommes face à une nation immature et gravement perturbée, devant une fillette narcissique qui s’adore elle-même et vit terrorisée face à sa propre cruauté. Elle est comme la jeune sadique terrorisée par ses démons intérieurs. Quand les Israéliens s’aiment autant, et qu’ils croient encore plus en leur innocence fantasmatique, ils craignent d’autant plus que les non -uifs soient aussi sadiques qu’eux-mêmes au moment où ils ont donné les preuves qu’ils l’étaient. Ce mode de comportement est ce que la psychiatrie appelle projection.
Dis-lui que nous l’aimons.
Ne l’effraie pas.
Ainsi se termine l’œuvre de Caryl Churchill. Tout laisse supposer que les juifs ont une bonne raison d’être effrayés : leur État national est une entité génocidaire et raciste.
Après la Shoah, les juifs ont eu l'occasion de changer leur destin, de tourner la page. Ils pouvaient aussi explorer collectivement la notion de pardon et de miséricorde. Quelques-uns de leurs intellectuels ont insisté sur le fait qu'ils devraient se situer à l'avant-garde de la lutte contre le racisme et l’oppression. Mais il fallu seulement six décennies pour que l'État national juif s'établisse comme l'État national raciste par excellence, qui fait usage des tactiques sadiques impitoyables et oppressives. « Ne l’effraie pas », dit Churchill. Franchement, la fillette a toute la raisons du monde d’être effrayée. Si elle avait une fois le courage de se regarder dans le miroir, le résultat serait sérieusement dévastateur.
Télécharger le texte de la pièce en français
Sept grosses ficelles de hasbara
par Gilad ATZMON, 18/5/2009 . Traduit par Marcel Charbonnier. Édité par Fausto Giudice, Tlaxcala
Español: Siete trucos sionistas
Je suis allé voir la pièce « Seven Other Children » (Sept autres enfants), une production malhabile censée contrer la pièce hautement appréciée de Caryl Churchill ‘Seven Jewish Children’.
D’après la presse juive, cette pièce d’une durée de sept minutes a été écrite par un “Goy” du nom de Richard Stirling, qui avait été bouleversé par la représentation des faits donnée par la pièce de Caryl Churchill, qu’il avait jugée « injuste » et « déséquilibrée ». En réalité, Stirling a créé une « contre-production », une pièce de sept minutes unilatérale et pro-sioniste qui tente désespérément de jeter un jour défavorable sur les Palestiniens. Reste que, contrairement au texte phénoménal et stimulant pour la réflexion de Mme Churchill, Stirling manque de talent, son texte est dépourvu d’esprit et de profondeur. Contrairement à Mme Churchill, qui a réussi à bâtir sa pièce d’une manière profonde et quasi magique sur certaines strates très profondément enfouies du discours identitaire juif, Stirling s’empêtre dans une adaptation banale de la transition opérée par Mme Churchill entre un binôme victimitude / agression et une réalité théâtrale palestinienne.
Pâle imitation du canevas innovateur de Mme Churchill, la pièce Sept Autres Enfants (Seven Other Children) de Stirling est constituée d’une brève succession de scènes : la pièce commence avec la Nakba de 1948, l’épuration de la Palestine , par les Israéliens, de sa population indigène et de ses terres, pour finir par la réalité palestinienne actuelle, que Sterling, de manière ahurissante, portraiture en « endoctrinement à la haine ». Imitant le canevas choisi par Mme Churchill, le message est délivré en de courtes phrases prononcées par des adultes s’adressant à des enfants palestiniens imaginaires. En pratique, le dialogue, chez Mme Churchill, composé de courts segments commençant par « Dites-lui… Ne lui dites pas que… », est remplacé, par Stirling, par : « Demandez-lui… Ne lui demandez pas si… »
Il n’y a pas grand-chose à dire, au sujet de cette pièce ; en effet, le mauvais art ne mérite pas qu’on s’y arrête. Apparemment, même la presse sioniste a été découragée par sa médiocrité, et elle n’a pas écrit grand-chose à son sujet. Toutefois, nous pouvons voir dans cette pièce une occasion de jeter un coup d’œil plus profondément dans l’idéologie et la praxis tribales. Nous avons des choses à apprendre des préceptes qui ont fait de cette production intellectuelle un flop théâtral inéluctable.
Comme je l’ai exposé dans un précédent article, c’est Mme Churchill qui est à l’origine du format théâtral particulier en plaçant une jeune femme juive en interlocutrice de la métamorphose de la victimitude israélienne en brutalité collective. Sterling, quant à lui, a choisi de placer un enfant mâle, du côté du protagoniste absent de sa pièce. La différence saute aux yeux. Alors que la représentation, par Mme Churchill, de la « narration juive » à l’intérieur d’un cadre efféminé est quelque chose qui est susceptible de renvoyer à une équation analogue établie par le philosophe misogyne Otto Weininger, il y a de cela un siècle, pour Stirling, l’identité palestinienne est représentée par une jeune voix masculine.
Autant le juif, chez Mme Churchill, est submergé par une imagerie phantasmatique de victimitude, le garçon palestinien de la pièce de Stirling est un personnage auto-affirmé. Il est à la veille de devenir un combattant. Puis-je suggérer l’idée, à ce stade, qu’étant donnés les échecs de l’armée israélienne dans toutes ses campagnes militaires, ces dernières années, et en ayant à l’esprit les images diffusées par les services de la hasbara* israélienne, de juifs traumatisés et sanglotant à Sderot, le choix de portraiturer les juifs sous les traits d’une fillette ne manque pas d’à-propos. Pourtant, nous devons nous rappeler aussi que la réalité, sur le terrain, ne laisse que peu d’espace au doute. Ce sont bien les Israéliens qui sèment la mort en masse tout autour d’eux. Ce sont bien les Israéliens qui balancent des armes de destruction massive sur des civils. Ce sont les Israéliens qui mettent en application une philosophie nationale raciste criminelle.
Et c’est les Palestiniens qui voient, de fait, leurs villes et leurs villages être transformés en camps de concentration par l’État juif. Incorporer les visions de Churchill et de Stirling dans une réalité unique nous donnerait une claire image d’une fille bestialement névrosée ayant enfermé un garçon naïf et confus dans une cave dont elle aurait jeté la clé. Le simple fait d’y réfléchir une seconde supplémentaire révèle la vérité, et la vérité est dévastatrice. Il ne s’agit pas simplement d’une réalité théâtrale lointaine, c’est bel et bien la réalité vraie de l’État juif et de sa brutalité. Toutefois, en réalité, le garçon grandit et sort, lentement mais surement, de sa naïveté. Le voici désormais déterminé à se libérer, en dépit de tous les obstacles. Et c’est ce qu’il fera !
Il est également important de mentionner que la tentative déployée par Stirling de présenter le narratif palestinien comme une transition de la victimitude à l’agression est non seulement totalement dépourvue d’imagination, mais totalement erronée : elle est trompeuse et elle n’est probablement que le résultat d’une banale projection siono-centrique.
Contrairement aux juifs, qui ne cessent de défendre leur souffrance historique par les moyens institutionnels et juridiques, les Palestiniens ne pensent même pas à se présenter en tant que victimes. De même, l’agression dont fait preuve l’État juif au nom du peuple juif et avec l’approbation de ses partisans institutionnalisés, ne saurait être translittérée dans la réalité palestinienne ou dans le discours identitaire palestinien. Les Palestiniens se battent en vue de leur libération, ils combattent légitimement pour recouvrer la liberté. En aucune manière votre combat pour la liberté ne saurait prendre la forme de l’agression, à moins que vous soyez sioniste, un Gentil crypto-sioniste de service (un Goy du shabbat), ou alors les deux à la fois.
Voilà qui suffit à établir le fait que la prémisse de la pièce était extrêmement fragile. Toutefois, il convient de soulever certaines problématiques concernant tant la pièce elle-même que ce qui a pu en motiver l’écriture. Les lobbys et les blogs juifs qui font la promotion de la pièce de Stirling insistent sur le fait que Mme Churchill n’aurait pas su représenter le conflit de manière équitable. C’est là un argument lamentable, proche de verser dans le pathétique. Depuis quand les artistes sont-ils tenus à être impartiaux ? Depuis quand un artiste est-il tenu de faire une présentation équilibrée des choses ? Les artistes sont voués à la beauté. Ils sont manifestement capables de faire passer un message à travers la beauté. Imposons-nous une exigence d’impartialité à Shakespeare ou à Picasso ? Mais nous pouvons aller encore plus loin : les militants juifs qui sont tellement dévastés par la pièce de Mme Churchill ont-ils protesté contre Spielberg en raison de sa présentation « unilatérale » des conditions politiques et sociales de l’époque des faits, dans son film « La Liste de Schindler » !
Pourtant, manifestement, ce film a échoué à faire entendre ce que les nazis avaient à dire. A l’évidence, aucun être raisonnable ne formulerait une telle exigence. Et pourtant, comme dans le cas de la lutte contre le racisme, l’activisme ethnique juif tombe dans le même genre de piège. Le militant antiraciste juif n’est pas contre le racisme en général. Non : il est seulement opposé au racisme antijuif. De la même manière, les militants juifs tribaux ne sont nullement en train de s’efforcer, ici, de promouvoir un nouveau schème de « d’exposition équilibrée des faits en matière artistique ». Non : en réalité, ils insistent simplement sur le fait que les juifs devraient apparaître davantage à leur avantage, dans une pièce de théâtre donnée.
Apparemment, les lobbys sionistes du Royaume-Uni mettent actuellement une pression énorme sur tout théâtre procédant au montage de la pièce de Mme Churchill, exigeant que la pièce « gentille » qui a leur prédilection soit présentée en parallèle, sans aucun égard quand à la question de savoir si elle a les qualités requises ou si elle en est totalement dépourvue, ce qui est d’ailleurs le cas. Je suppose qu’étant donné que je joue moi-même tous les soirs et que chacun de mes shows est un meeting pour la Palestine , il ne faudra pas longtemps aux mêmes lobbys tribaux pour sponsoriser des manifestations jazzistiques supposées contrer les miennes. Ils pourraient même (pourquoi pas) apprendre à l’heureux saxophoniste de leurs rêves à jouer ma musique à l’envers !?
Quand on y réfléchit, une chose est parfaitement évidente. Naguère, les principales scènes londoniennes étaient réservées à des projets de la hasbara sioniste. La cause palestinienne ne pouvait être célébrée que dans quelque théâtre alternatif, dans quelque centre communautaire ou dans quelque église. Mais ça, ça a officiellement changé. La pièce de Mme Churchill a été jouée au Royal Court Theatre, et elle a favorablement retenu l’attention de l’ensemble des médias britanniques. Le pastiche sioniste commis par Stirling est cantonné, de manière humiliante pour son auteur, dans un minuscule théâtricule du quartier d’Hampstead. Elle est jouée quasi-exclusivement devant un public juif. On pourrait, à raison, affirmer que le discours palestinien revendique avec succès, aujourd’hui, la grande scène, tandis que le discours sioniste semble tirer la langue, loin derrière.
Dans sa pièce, Stirling ne cesse de demander au garçon palestinien :
« … Pourquoi n’avons-nous pas d’amis ?... » « Demande-lui de citer ne serait-ce qu’un seul de nos amis ! »
Mais, à la scène finale, celle qui est une réflexion sur Gaza lors de la guerre de 2009, Stirling lui-même prend soudain conscience du fait que les Palestiniens ont tellement d’amis qu’ils pourraient en revendre !
« Demande-lui s’il sait, à propos de nos amis,
Demande-lui s’il sait que ces amis n’ont pas d’amis,
Demande-lui s’il sait, à propos de nos amis, en Europe »
Manifestement, Caryl Churchill et le Royal Court Theatre ne sont que deux parmi de très nombreux amis des Palestiniens !
Mais Stirling n’est pas seul, lui non plus : il a désormais au minimum sept bloggers sionistes, qui prétendent être ses amis. L’activiste notoire de la diffamation israélienne David Hirsh fait en effet sa promo, le site emblématique siono-néocon Harry’s Place lui donne un espace, un autre blog juif, appelé OyVaGoy menace d’exploser de libido. Avec de bons amis tels ceux-là, Stirling ne va pas tarder à se rendre compte que dès lors que ses associés cacher auront fini d’agresser jusqu’au dernier théâtre de ce pays, il n’aura plus qu’une chose à faire, et très vite : envisager de changer de carrière. A en juger à sa pièce, et au vu de ce dont Stirling est capable, ça ne sera pas une grande perte pour le théâtre britannique !
Il faudrait toutefois qu’une âme charitable rappelle à Stirling qu’un examen historique courageux de la réalité du sionisme au 20ème siècle ne pourra que révéler le fait dévastateur que le projet sioniste n’a jamais eu un seul ami véritable. Non : en lieu et place d’amitié, ce qu’il a eu, c’est le pouvoir – nuance ! Le sionisme est influent, il détient toujours énormément de pouvoir. Mais le pouvoir et l’amitié sont des catégories très éloignées l’une de l’autre…
Dans la pièce de Stirling, les derniers mots que l’on adresse à l’enfant (palestinien) ont pour fonction de laisser l’auditoire juif dans un total désarroi :
« Demande-lui si Hitler s’est trompé »
Comme si les Palestiniens étaient mus par la haine raciale envers les juifs, comme s’ils l’avaient été à un quelconque moment !? Quelqu’un devrait avoir la charité d’expliquer à M. Richard Stirling qu’en réalité, c’est de fait l’État juif qui applique des lois raciales envers les Palestiniens, et pas seulement eux. C’est l’État juif qui enferme des millions de personnes derrière des fils de fer barbelés. C’est l’État juif qui écrabouille des quartiers entiers sur leurs habitants. C’est l’État juif qui observe, systématiquement, la doctrine hitlérienne. Les Israéliens, par conséquent, d’une façon ou d’une autre, sont certainement sincèrement convaincus que le petit moustachu pensait juste, quant à lui.
Note :
* hasbara : mot hébreu signifiant « explication », désignant la propagande, le bourrage de crâne (sionistes).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire