Le parquet égyptien a requis jeudi la peine de mort contre l'ex-Raïs. Analyse.
par Armin Arefi, Le Point, 6/1/2012
Le parquet a requis à la surprise générale la peine de mort contre l'ex-président égyptien Moubarak. © Mohammed Hossam / AFP
Hosni Moubarak va-t-il mourir ? À la surprise générale, le parquet a requis jeudi "la peine maximale", à savoir la peine capitale, contre l'ex-Raïs, 83 ans et malade, accusé d'avoir donné des instructions pour ouvrir le feu lors de la répression du soulèvement contre son régime, qui a fait officiellement quelque 850 morts. Directeur de recherche au CNRS, le spécialiste de l'Égypte Jean-Noël Ferrié* explique pourquoi cette réquisition est avant tout politique.
Le Point.fr : L'annonce de la peine de mort requise contre l'ex-Raïs est-elle surprenante ?
* Auteur de L'Égypte, entre démocratie et islamisme (éditions Autrement)
Hosni Moubarak va-t-il mourir ? À la surprise générale, le parquet a requis jeudi "la peine maximale", à savoir la peine capitale, contre l'ex-Raïs, 83 ans et malade, accusé d'avoir donné des instructions pour ouvrir le feu lors de la répression du soulèvement contre son régime, qui a fait officiellement quelque 850 morts. Directeur de recherche au CNRS, le spécialiste de l'Égypte Jean-Noël Ferrié* explique pourquoi cette réquisition est avant tout politique.
Le Point.fr : L'annonce de la peine de mort requise contre l'ex-Raïs est-elle surprenante ?
Jean-Noël Ferrié : Ce n'est pas une annonce surprenante du point de vue de la réquisition du procureur général. En Égypte, on requiert très facilement la peine de mort. De plus, nous avons affaire ici à un procès manifestement politique avec une forte pression des parties civiles. Il était donc à peu près évident que le procureur allait réclamer la peine de mort. Ensuite, une autre question est de voir quel sera le jugement rendu par le tribunal. Il y a deux possibilités : soit le tribunal condamne effectivement à mort Moubarak, et dans ce cas-là il y aura un appel ; soit le tribunal ne condamne pas Moubarak à mort, et nous aurons droit à l'expression d'un mécontentement très vif de la part des parties civiles.
Que voulez-vous dire par "procès politique" ?
Le dossier d'accusation est totalement vide. Le procès est destiné à solder le compte de la période de présidence de Moubarak et à montrer que les militaires, qui ont organisé un coup d'État et chassé Moubarak, respectent jusqu'à un certain point la révolution du 25 janvier. Qu'ils s'inscrivent dans sa continuité et rompent avec l'ancien régime, ce qui signifie une condamnation rapide de l'ancien président. Or le procès de ce dernier est un arbre qui cache la forêt. Lorsque vous regardez à quoi ressemble l'Égypte actuellement, nous sommes tout à fait dans la continuité de ce qui se passait à l'époque de Moubarak.
Peut-on parler de procès "démagogique" ? C'est un jugement finalement destiné à masquer le fait qu'il n'y a pas de révolution en Égypte.
Pensez-vous l'armée prête à sacrifier le "soldat Moubarak" ?
C'est vraiment une question de délais. Si Moubarak était condamné à mort, il y aurait un appel, et il est à peu près clair que l'affaire durerait plusieurs mois. Je ne suis pas certain, pour ma part, que les militaires aient en tête d'aller jusqu'à sacrifier le soldat Moubarak. La question est autre : si Moubarak est définitivement condamné à la peine capitale, que feront les dirigeants au pouvoir au moment où la condamnation sera effective ? S'il s'agit des militaires, ceux-ci iront-ils jusqu'à exécuter leur ancien chef, héros de la guerre de 1973 ? Surtout qu'en continuant à réprimer les manifestations aujourd'hui, avec nombre de morts, les militaires courent eux-mêmes le risque de se retrouver dans quelques mois accusés et condamnés pour les mêmes charges que Moubarak. Il n'y a aucune raison en effet d'imaginer que le maréchal Tantaoui, ancien ministre de Moubarak, actuel chef de l'État et chef des forces armées, ne sera pas poursuivi une fois de retour à la vie civile.
Quel rôle vont jouer les Frères musulmans, grands vainqueurs des législatives, dans cette affaire ?
Les Frères n'ont pas envie de se prononcer sur un sujet pour le moins sensible, qui plus est au stade des réquisitoires. Dans quelques mois, la logique voudra que les militaires quittent le pouvoir et qu'un exécutif civil dominé par les Frères musulmans arrive aux commandes. Il faudra voir à ce moment-là s'ils souhaiteront reprendre les procès de l'ancien régime, ou bien si, prudemment, ils fermeront la porte à des procès à n'en plus finir. Je pense qu'il y aura dans les mois à venir des négociations entre les militaires et les islamistes pour éviter d'en arriver là. L'idée est vraiment que le jugement de Moubarak soit en quelque sorte le procès pour solde de tout compte des 30 dernières années.
Qu'attend véritablement l'opinion publique égyptienne ?
La colère qui visait l'ancien président s'est relativement déportée, en raison de deux événements importants : tout d'abord les élections législatives, qui ont vu la très large victoire des partis islamistes, mais aussi la fatigue et la lassitude ressenties par le peuple pour une période trouble qui n'en finit pas de durer. Je ne suis pas certain que toute la population égyptienne souhaite un règlement de comptes de l'ancien Raïs. L'ancien président risque-t-il réellement la potence ?
Ceci est difficile à envisager à l'heure actuelle. Pour les militaires au pouvoir, cela serait véritablement synonyme d'un reniement encore plus fort que ce qu'ils ont fait jusqu'à présent en acceptant de juger Moubarak.
Il se dit qu'en cas de procès réellement impartial, Moubarak ne risquerait pas plus de dix ans de prison. Si le procès était totalement impartial, je pense que l'ex-chef de l'État ne risquerait rien. Pendant ces audiences, rien n'a permis de prouver qu'il est mêlé à la répression, ainsi qu'aux faits de corruption qui lui sont reprochés. Il faut garder en tête qu'en France, l'instruction d'un ancien ministre pour des faits de corruption relativement mineurs par rapport à ceux dont est accusé Moubarak prend déjà des années.
Mais l'ancien président est tout de même accusé d'avoir donné l'ordre de tirer sur les manifestants.
C'est exact, mais peut-on prouver qu'il en a donné l'ordre ? Comme personne n'a témoigné en ce sens, il me paraît extrêmement difficile de parler de preuves en la matière. L'affaire peut durer un certain temps. Il existe en Égypte des condamnés à mort d'une certaine importance qui n'ont toujours pas été exécutés. * Auteur de L'Égypte, entre démocratie et islamisme (éditions Autrement)
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