dimanche 28 août 2011

Les saqueos, c'est contagieux !-Arnaqueurs au grand jour, je vous présente les petits pillards nocturnes


Traduit par  Viktor Dedaj, Le Grand Soir
Edité par  Fausto Giudice فاوستو جيوديشي, Tlaxcala
Original: Daylight Robbery, Meet Nighttime Robbery
Traductions disponibles : Português 

On nous rabâche que les émeutes en Grande-Bretagne n’avaient rien de politique – mais les émeutiers savent que leurs élites, elles, pratiquent le vol à grande échelle et en plein jour..
Je n’arrête pas d’entendre des comparaisons entre les émeutes à Londres et celles d’autres villes européennes – bris de vitrines à Athènes, feux de joie de bagnoles à Paris. Il est certain qu’il y a des similitudes : une étincelle provoquée par la violence policière, une génération qui se sent abandonnée.
Mais les évènements à Londres ont été marqués par des destructions massives, le pillage était un phénomène marginal. Il y a eu cependant d’autres pillages massifs ces dernières années, et peut-être devrions-nous en parler aussi. Il y a eu Bagdad au lendemain de l’invasion par les USA – une vague d’incendies et de pillages qui ont vidé les bibliothèques et les musées. Les usines aussi ont été touchées. En 2004 j’ai visité une usine qui fabriquait des réfrigérateurs. Les employés avaient pris tout ce qui avait de la valeur, puis ils y ont méthodiquement mis le feu jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’une structure métallique tordue.
A l’époque les gens à la télé trouvaient que le pillage était un geste hautement politique. Ils disaient "voici ce qui arrive lorsqu’un régime n’a plus de légitimité populaire". Après avoir vu pendant des années à Saddam Hussein et ses fils se servir de n’importe quoi et n’importe qui, de nombreux Irakiens ordinaires ont pensé qu’ils avaient eux-aussi le droit de se servir à leur tour. Mais Londres n’est pas Bagdad, et le Premier ministre britannique, David Cameron, n’a rien d’un Saddam, il n’y donc aucune leçon à en tirer.
Bon, alors que diriez-vous d’un exemple pris dans une démocratie ? L’Argentine, vers 2001. L’économie était en chute libre et des milliers d’habitants des quartiers défavorisés (qui étaient jadis des zones industrielles prospères, avant l’arrivée du néolibéralisme) ont pris d’assaut les supermarchés détenus pas des sociétés étrangères. Ils sont ressortis avec des chariots remplis de produits qu’ils n’avaient plus les moyens d’acheter – vêtements, matériel électronique, viande. Le gouvernement a instauré « un état de siège » pour rétablir l’ordre. Les gens n’ont pas apprécié et ils ont renversé le gouvernement.
Le pillage massif en Argentine fût baptisé el saqueo - la mise à sac,  le pillage. Ce qui est politiquement significatif parce que c’est exactement ce terme qui fut employé pour décrire ce que les élites du pays avaient fait en bradant les biens de la nation lors d’opérations de privatisation à l’évidence entachées de corruption, en planquant leur argent dans des paradis fiscaux pour ensuite faire payer le peuple par des mesures brutales d’austérité. Les Argentins avaient bien compris que le saqueo des centres commerciaux n’aurait pas eu lieu sans le saqueo plus vaste du pays, et que les véritables gangsters se trouvaient au pouvoir.

Saqueo d'un magasin Val Mart au Chili après le tremblement de terre, mars 2010, ou quand "nécessité fait loi"

Mais l’Angleterre n’est pas l’Amérique latine, et ses émeutes ne sont pas politiques, du moins c’est ce que l’on nous rabâche. En Angleterre, ce sont juste des gamins paumés qui profitent d’une situation pour s’emparer de ce qui ne leur appartient pas. Et la société britannique, nous dit Cameron, a horreur de ce genre de comportement.
Tout cela est dit avec le plus grand sérieux. Comme si les sauvetages massifs des banques n’avaient jamais eu lieu, suivis par des distributions de primes aux dirigeants battant tous les records, une véritable provocation. Suivis par des réunions d’urgence du G8 et du G20, où les dirigeants ont décidé, collectivement, de ne pas punir les banquiers ni de prendre des mesures pour éviter que cela ne se reproduise. Au lieu de cela, ils sont retournés chez eux pour imposer des sacrifices aux plus vulnérables. En licenciant des fonctionnaires, en réduisant le nombre d’enseignants, en fermant des bibliothèques, en augmentant les frais de scolarité, en dénonçant les accords sociaux, en se précipitant pour privatiser les biens publics et diminuer les retraites – choisissez parmi ce qui précède pour l’adapter à votre situation locale. Et qui voit-on à la télévision nous faire la leçon sur la nécessité de renoncer à ces « avantages acquis » ? Les banquiers et les gestionnaires de hedge-funds, évidemment.
C’est le saqueo global, le temps du Grand Hold-up. Alimenté par un sentiment maladif de droit sacré, le pillage se déroule en plein jour, comme s’il n’y avait rien à cacher. Cela dit, ils ont quand même quelques craintes. Début juillet, dans le Wall Street Journal, un sondage indiquait que 94% des millionnaires craignaient « des violences dans les rues ». Il s’avère que cette crainte n’est pas complètement injustifiée.
Bien sûr, les émeutes à Londres n’avaient rien de politique. Mais ceux qui volaient de nuit savaient parfaitement bien que leurs élites commettent leurs vols en plein jour. Les saqueos, c'est contagieux ! Les Conservateurs ont raison lorsqu’ils disent que les émeutes n’ont rien à voir avec les coupes budgétaires. Mais elles ont beaucoup à voir avec ce que ces coupes représentent : être coupé du monde. Se retrouver coincé dans une sous-classe sociale qui ne cesse de s’élargir et voir les rares portes de sortie – un vrai travail, une éducation à portée de bourse – se refermer rapidement les unes après les autres. Les coupes budgétaires sont un message. Un message envoyé à des pans entiers de la société pour leur dire : vous êtes coincés là où vous êtes, comme ces immigrés et ces réfugiés repoussés à nos frontières qui deviennent de plus en plus infranchissables.
La réponse de Cameron aux émeutes est de matérialiser cette exclusion par des mesures concrètes : expulsion des habitations à loyers modérés, coupures des outils de communication et des peines de prison scandaleuses (cinq mois pour une femme qui a accepté un short volé). Une manière d’enfoncer le clou : disparaissez, et en silence.
Au « sommet de l’austérité » du G20 l’année dernière à Toronto, les protestations ont dégénéré et de nombreuses voitures de police ont brûlé. Rien à voir avec Londres 2011, mais pour nous les Canadiens, ce fut un choc. Mais la grande controverse qui a suivi concerna le montant des dépenses effectuées par le gouvernement pour la « sécurité » du sommet, 675 millions de dollars (et avec tout ça ils ont eu du mal à éteindre les feux). A l’époque, nombre d’entre nous ont fait remarquer que tout ce nouvel arsenal coûteux que la police venait d’acquérir – canons à eau, canons soniques, gaz lacrymogènes et balles de caoutchouc – n’était pas uniquement destiné aux manifestants dans les rues. A long terme, il était destiné à contrôler les pauvres qui, dans la nouvelle ère d’austérité, n’auront plus grand chose à perdre.
C’est là où Cameron s’est trompé : on ne peut pas réduire le budget de la police en même temps que tout le reste. Parce que lorsqu’on vole aux gens le peu qui leur reste pour protéger les intérêts de ceux qui ont largement plus qu’il ne leur en faut, il faut s’attendre à une résistance – que ce soit sous la forme de protestations organisées ou des pillages spontanés.


Et ça, ce n’est pas de la politique, c’est de la physique.

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