par Al Dostor الدستور , 31/10/2011
Traduit par Mariem Eddaaliti مريم الدعليتي, édité par Tafsut Aït Baamran, Tlaxcala
Issam Atta , 23 ans, arrêté le 25 février dernier Place Tahrir et condamné de manière expéditive par un tribunal militaire à 2 ans de prison ferme, est mort le 27 octobre à l’hôpital Kasr El Ayni, où il avait été conduit d’urgence depuis la prison de Tora. Selon la version officielle, il avait “ingurgité un poison inconnu”. Plus prosaïquement, il a succombé aux tortures qui lui ont été infligées. Sa mort et l’exposition de sa dépouille sur la Place Tahrir le vendredi 28 octobre ont donné une nouvelle raison de manifester aux Égyptiens qui réclament le départ de la junte militaire qui a pris la suite de Moubarak. -Tlaxcala
Le journal Al Dostor a obtenu le procès-verbal de la déposition auprès du procureur faite par Mohamed Atta, le frère aîné d’Issam Atta, décédé à la prison de Tora le 27 octobre dernier. Il s’agit du procès verbal n° 5537-2011 du dossier de l’enquête administrative ouverte après ce décès. En voici la teneur :
Question du procureur : Qu’est il arrivé ?
Mohamed Atta : R : Mon frère était en prison depuis huit mois - depuis le 25 février 2011 - et il y avait trois mois qu’il n’avait pas eu de visite. Il nous a appelés sur le téléphone de l’un des prisonniers pour nous demander d’aller le voir. Effectivement, ma mère et la copine de mon frère y sont allées mardi dernier 25 octobre ; elles ont apporté de la nourritureet une carte SIM. Pendant qu’elles se trouvaient à l’intérieur de la prison, mon frère a demandé du thé à un prisonnier qui lui doit de l’argent, mais le prisonnier a refusé et il est allé dire aux policiers qu’il avait vu mon frère en train de prendre des stupéfiants. Un moment plus tard, les policiers ont emmené mon frère dans une pièce où ils l’ont battu et ont mis des tuyaux dans sa bouche, son nez et son rectum, car ils croyaient que mon frère avait pris des stupéfiants. Il n’avait pas droit aux visites. En plus ils lui ont fait boire un vomitif pour vérifier s’il avait pris les dits stupéfiants. Et puis l’officier a dit : cela fait trois mois que personne ne lui a rendu visite et il n’a pas été placé en quartier disciplinaire; si la police peut avoir le moindre soupçon que mon frère ait pris des stupéfiants, il sera placé en quartier disciplinaire.
Le lendemain, mon frère nous a appelés, il a dit que l’officier Nour l’a engueulé au sujet de l’affaire de drogue, et qu’il veut que quelqu’un porte plainte contre l’administration, mais son copain a pris le téléphone et lui a dit de ne pas porter plainte afin de ne pas être maltraité, et remercier Dieu de ne pas avoir été mis en quartier disciplinaire.
J’ai alors pris le téléphone et j’ai parlé avec Issam, lui disant qu’on ne porterait pas plainte, et il s’est fâché contre moi.
Ma mère nous a appelé le troisième jour, c’était un jeudi. Elle a dit qu’un copain d’Issam a appelé, et qu’il lui a annoncé que mon frère avait été hospitalisé. Elle a passé son temps à chercher le nom de l’hôpital. Enfin, elle a su que mon frère était à Kasr El Ayni. J’ai appris ensuite qu’il est mort dans cet hôpital.
Arrivé à l’hôpital, je l’ai vu par terre. Il avait du sang partout et une mousse sortait de sa bouche et son nez. J’ai su que l’officier qui s’appelle Nour l’avait torturé, et voilà ce qui est arrivé.
Q : Qui a rendu visite à ton frère ?
R : Ma mère et une copine à lui, elle s’appelle Aya
Q : Quel est le nom complet d’Aya ?
R : Je ne sais pas, ce que je sais c’est qu’elle l’aimait et elle est allée le voir avec ma mère.
Q : A-t-elle a pu le voir ?
R : Oui, mais elles ne sont pas restées jusqu’à la fin de la visite.
Q : Qu’est ce qui les en a empêchées ?
R : Un homme qui préparait le thé doit de l’argent à mon frère, et il ne voulait pas lui rendre son argent, alors il a dit à la police que mon frère avait pris des stupéfiants, pour se venger.
Q : Comment s’appelle-t-il ?
R : Je ne sais pas
Q : Que s’est-il passé ensuite?
R : Après l’avoir conduit dans la salle d’interrogatoires ils l’ont battu et torturé, et ont expulsé ma mère de la prison.
Q : Quelles agressions a-t-il subies ?
R : Une fois au poste de police, mon frère a été torturé dans une pièce et ma mère été expulsée.
Q : Comment a-t-il été torturé ?
R : Ma mère dit qu’ils l’ont battu et torturé, et qu’ils ont introduit des tuyaux d'eau dans sa bouche et son anus.
Q : Pour quelle raison ont-ils fait cela ?
R : Parce qu’ils ont cru le prisonnier qui disait que mon frère a pris des drogues, et cela leur permettait de savoir c’était vrai ou non.
Q : Comment as-tu pu déduire cela ?
R : Ma mère me l’a raconté.
Q : Quand vous l’a-t-elle rapporté ?
R : Le même jour, c’était un mardi
Q : Est-ce que vous avez porté plainte?
R : Non.
Q : Qu’est ce qui t’a retenu?
R : J’ai eu peur qu’ils l’apprennent et lui fassent du mal.
Q : Quelle était la teneur de l’appel téléphonique du jour suivant ?
R : Le mercredi, mon frère a appelé ma mère sur mon téléphone mobile. Il lui a dit qu’ils l’avaient battu et torturé
Q : Comment l’as-tu appris?
R : Quand je suis rentré du travail, ma mère m’a raconté ce qui s’est passé, en pleurant. Mon frère a rappelé encore une fois vers 23:30, je me suis connecté sur Skype et il m’a raconté comment il a été torturé. Mes parents aussi étaient là.
Q : Que vous a-t-il dit ?
R : Toujours la même chose et il a ajouté que l’officier qui le torturait s’appelle Nour et travaille dans une prison de haute sécurité.
Q : Pour quelle raison l’officier a-t-il torturé ton frère ?
R : Pour la même raison, et sur les dires de la même personne à qui mon frère a demandé du thé. On l’a torturé tout le mardi et le mercredi.
Q : Est-ce que tu as porté plainte à ce sujet?
R : Non
Q : Qu’est-ce qui t’a retenu?
R : Mon frère voulait vraiment qu’on dépose plainte, mais on a eu peur de se mettre en danger si on le faisait.
Q : Quand as-tu parlé pour la dernière fois avec le défunt ?
R : Le dernier appel, c’était le mercredi soir vers 23h30.
Q : Quand l’avez-vous vu pour la dernière fois?
R : Moi je ne suis pas allé lui rendre visite depuis qu’il a été emprisonné, mais lui me demandait chaque fois d’aller le voir.
Q : A-t-il a dit avoir été soumis à la torture, avant cet incident ?
R : Non mon frère se conduisait bien, avait bonne réputation, mieux que personne, et le procureur a dit ici que les prisonniers, le médecin et les officiers de la prison ont tous affirmé qu’Issam était bien éloigné de faire cela et qu’il n’a pas pris de drogues ni fumé de cigarette.
Q : Est-ce que quelqu’un a pris note de ce qui s’est dit lors de l’incident ?
R : Il n’y avait que moi, ma mère et mon père.
Q : De quel numéro Issam a-t-il appelé ?
R : Du numéro 01155164916, mais je n’ai pas enregistré les lignes des prisonniers.
Q : Comment ton défunt frère se comportait-il ?
R : Il était pauvre et gentil, il n’a jamais fumé même une cigarette.
Q : Est-ce qu’il souffrait d’une quelconque maladie physique ou mentale ?
R : Non
Q : Est-ce qu’il a essayé de se suicider auparavant ?
R : De se suicider ? Non pas du tout. Il était trop pauvre, il voulait juste des vêtements pour les mettre le jour où il sortirait de la prison, c’est pour cette raison qu’il a demandé à ma mère de lui en coudre. À ce moment-là, on était en train de faire appel pour lui [il avait été condamné à 2 ans de prison par un tribunal militaire, NdT].
Q : Est ce qu’il y avait des personnes au sein de la prison, que ce soit des prisonniers, du personnel ou des superviseurs qui ont torturé ton frère avant l'incident et le mardi susmentionné, ou est-ce qu’il y a eu un différend entre lui et des prisonniers, officiers ou toute autre personne avant cela ?
R : Non, les problèmes ont commencé le mardi, entre lui et l’officier qui s’appelle Nour. Mais les prisonniers l’aimaient bien, il n’y avait aucun problème entre eux.
Q : Quelles sont les causes de la mort de ton frère ?
R : La cause de sa mort c’est la torture.
Q : Est-ce que les méthodes de torture entraînent la mort ?
R : C’est sûr.
Q : Est-ce que l’auteur de l’incident avait l’intention de le tuer ?
R : Oui.
Q : Qui accusez-vous d’avoir tué votre frère ?
R : L’officier qui s’appelle Nour, et qui est dans une prison de haute sécurité.
Q : Est-ce qu’il y a eu des différends entre vous deux ?
R : Je ne le connais pas, et je ne l’ai jamais vu. Mon frère a dit que c’est lui qu’il torturé
Q : Que dites-vous des témoignages de:
1. Ahmad Said Abderrahman
2. Ahmad Said Ahmad Sadiq
3. Mohamed Ahmad Othman Mohamed
4. Said Mohamed Ibrahim Rizq
Ce sont des co-détenus du défunt, ils disent que votre frère, avant son décès, était très stressé et qu’ils ont été informés que la cause de ce stress était que votre frère a pris de stupéfiants.
R : Ce n’est pas vrai, ils ont eu peur de dire la vérité
Q : Quelle est votre lien de parenté avec le défunt ?
R : C’était mon petit frère.
Q : Quelle est la composition de votre famille ?
R : Mon père, ma mère, Inâm Hassan Raghib, quatre sœurs, deux sont mariées, Yasmine et Imane et deux sont encore jeunes, Shaïmae et Salma, moi et Issam.
Q : Où est votre mère maintenant ?
R : Elle est à la maison, mais elle est fatiguée après tout ce qui s’est passé.
Q : Tu es tenu d’annoncer à votre mère qu’elle doit se présenter devant le ministère public pour une audience urgente d’investigation dès qu’elle ira mieux.
R : Je m’y engage.
Q : As-tu quelque chose à ajouter ?
R : Non.
Les funérailles d'Issam, le vendredi 28 octobre 2011, sur la Place Tahrir
Photos Hossam El Hamalawy
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