lundi 19 décembre 2011

Face au défi de la farce démocratique, inventer la démocratie de demain



Au regard de ce qu’il appelle la « farce démocratique », Samir Amin soulève une question essentielle : « Renoncer à l’élection ?» La réponse est négative mais induit une nouvelle interrogation : « Comment associer des formes de démocratisation nouvelles, riches, inventives, permettant de faire de l’élection un usage autre que celui que les forces conservatrices conçoivent» ? Pour Amin, tel est le défi.
Le suffrage universel est une conquête récente, amorcée par les luttes des travailleurs au 19ème siècle dans quelques pays européens (l’Angleterre, la France, les Pays Bas, la Belgique), puis progressivement étendue au monde entier. Aujourd’hui il va s’en dire, partout sur la planète, que la revendication du pouvoir suprême délégué à une Assemblée élue, correctement, sur une base pluripartite – que cette Assemblée soit législative ou constitutionnelle selon les circonstances – définit l’aspiration démocratique et, ajouterai-je, en assure la réalisation, prétend-on.
Marx lui-même avait placé de grands espoirs dans ce suffrage universel, « voie pacifique possible vers le socialisme ». J’ai écrit que sur ce point les attentes de Marx ont été démenties par l’histoire (cf. Marx et la démocratie).
Je crois que la raison de cet échec de la démocratie électorale n’est pas difficile à découvrir : toutes les sociétés, jusqu’à ce jour sont fondées sur un système double d’exploitation du travail (quelles qu’en soient les formes) et de concentration du pouvoir d’Etat au bénéfice de la classe dirigeante. Cette réalité fondamentale produit une relative « dépolitisation/déculturation » de très larges segments de la société. Et cette production, largement conçue et mise en œuvre pour remplir la fonction systématique attendue d’elle, est simultanément la condition de reproduction du système, sans changements « autres que ceux qu’il peut contrôler et absorber, la condition de sa stabilité. Ce que l’on définit comme « le pays profond », c'est-à-dire le pays profondément endormi. L’élection au suffrage universel, dans ces conditions, est une garantie pour la victoire assurée du conservatisme (fut-il réformateur).
C’est pourquoi il n’y a jamais eu de changement dans l’histoire qui ait été produit par ce mode de gestion fondé sur le « consensus » (de non changement). Tous les changements ayant une portée transformatrice réelle de la société, même les réformes (radicales) ont toujours été le produit de luttes, conduites par ce qui peut apparaître en termes électoraux comme des « minorités ». Sans l’initiative de ces minorités qui constituent l’élément moteur dans la société, pas de changement possible. Les luttes en question, engagées de la sorte, finissent toujours – quand les alternatives qu’elles proposent sont clairement et correctement définies – par entraîner les « majorités » (silencieuses au départ), voire être ensuite entérinées par le suffrage universel, qui vient après – non avant – la victoire.
Dans notre monde contemporain, le « consensus » (dont le suffrage universel définit les frontières) est plus conservateur que jamais. Dans les centres du système mondial ce consensus est pro-impérialiste. Non pas au sens qu’il implique nécessairement la haine ou le mépris des autres peuples qui sont ses victimes, mais au sens plus banal que la permanence de la ponction de la rente impérialiste est acceptée, parce qu’elle est la condition de reproduction de la société dans son ensemble, la garantie de son « opulence » faisant contraste avec la misère des autres. Dans les périphéries, les réponses des peuples au défi (à la paupérisation produite par le déploiement de l’accumulation capitaliste/impérialiste) restent confuses, dans ce sens qu’elles véhiculent toujours une dose d’illusions passéistes fatales.
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