vendredi 12 décembre 2008

Message à Obama : l'Afghanistan n'est pas l'Irak

par Abdelbari ATWAN عبد الباري عطوان , Al Quds Al Arabi, 10/12/2008
Traduit par Tafsut Aït Baamrane,
Tlaxcala
Original :
لى اوباما: افغانستان ليست العراق


Le nouveau président Barack Obama prévoit de retirer les forces US d'Irak et d'envoyer 20 000 hommes de plus en Afghanistan. Il croit que la situation peut y être réglée militairement en toute facilité.Mais les talibans viennent de brûler plus de 100 véhicules destinés au ravitaillement des 60 000 soldats de l'OTAN éparpillés dans le pays.Cet incendie révèle la difficulté de la tâche du nouveau président face aux priorités à choisir.


Le mouvement des talibans, soutenu par la tribu des Pachtounes, considérée, avec ses 40 millions de ressortissants entre Afghanistan et Pakistan, comme la plus grande tribu au monde dépourvue d'État, contrôle 70% du territoire afghan et s'apprête à frapper aux portes de la capitale au printemps prochain. Il est en train de concentrer ses troupes en prévision de la grande offensive.

La force de ce mouvement vient essentiellement des facteurs suivants :

1° - Sa direction en Afghanistan, symbolisée par le Mollah Mohamed Omar, l'homme fort au-dessus de toutes les contingences – il refuse d'être photographié ou filmé -, qui vit comme un ermite. Il a déclaré dans son discours prononcé pour l'Aïd qu'il refuse toute médiation et toute réconciliation, tant que le pays sera occupé et qu'il s'en tiendra à la résistance comme choix unique pour en finir avec l'occupation.

2° - Ce mouvement a ouvert un nouveau front au Pakistan sous le nom de "Talibans du Pakistan", sous la direction du Beyaa' (chef désigné par la choura) Allah Massoud. Ce mouvement a quatre millions de supporters dont 80 000 armés, prêts au martyre contre les Usaméricains.

3°- Ce mouvement a tiré profit de l'expérience en matière militaire et de communication acquise par Al Qaïda en Irak. Cela se reflète bien dans le grand nombre de soldats de l'OTAN tués (800) soit par des attentats-suicide soit par des bombes télécommandées explosant au passage de troupes de l'OTAN.

4°- Les bombardements aériens US sur les cibles talibans et d'Al Qaïda en territoire pakistanais dans les provinces tribales font souvent des morts parmi les civils innocents, ce qui accroît la colère de la population, facilite la circulation des talibans et leur apporte de nouvelles recrues.

5° - Dans l'instabilité interne et face à la corruption de leurs dirigeants, la majorité des Pakistanais soutiennent Al Qaïda et les talibans. Le président pakistanais a passé plus de 13 ans en prison pour corruption.

6° - Les services de renseignement pakistanais soutiennent en secret les talibans. Il est vrai que les dirigeants de ces services sont liés aux dirigeants politiques du pays et soutiennent la guerre US contre le terrorisme mais il est aussi vrai que la plupart des officiers et des sous-officiers sympathisent avec les talibans.

7° - La faiblesse du gouvernement central de Kaboul, pourri jusqu'à la moelle. Des journaux US ont évoqué le frère du président Karzaï, mouillé dans le trafic de drogue.Les seigneurs de guerre qui avaient été écartés par les talibans se sont tous recyclés au parlement ou à de hauts postes au gouvernement. Ils sont connus pour leur passé de bandits de grands chemins, de gangsters et de narcotrafiquants.
On dit que la tactique du général Petraeus – qui vient d'être nommé chef du CENTCOM, le commandement militaire US pour le Moyen-Orient et l'Asie centrale - en Irak, consistant à créer la "Sahwa" (brigades de supplétifs de l'armée US chargées de la lutte contre Al Qaïda, NdT) a entraîné une baisse des actes de résistance et a éliminé Al Qaïda de l'Irak (l'auteur sous-entend que Petraeus pourrait appliquer la même tactique en Afghanistan).




Guerriers pachtounes, XIXe siècle


La comparaison entre l'Afghanistan et l'Irak ne tient pas la route, pour plusieurs raisons, qui ont à voir avec la démographie, la géographie et l'histoire, que nous résumerons ainsi :

1° - Les terres montagneuses et le climat afghans sont rudes, les hivers glaciaux, tout le contraire de l'Irak.

2° - L'Afghanistan est comme le nombril de l'Asie, entouré de sept Etats, dont la plupart ne sont pas en conflit entre eux, et on peut donc circuler entre ses frontières, faire passer armes et combattants en toute facilité, tout le contraire de l'Irak, entouré de pays opposés à sa résistance et à Al Qaïda, pro-US pour la plupart (Arabie saoudite, Koweït, Jordanie, Iran, Turquie). La seule exception était la Syrie, mais les Usaméricains sont arrivés à fermer ses frontières aux volontaires pour la résistance et la Syrie a rouvert son ambassade à Bagdad.

3° - Les talibans sont dans leur espace naturel. La grande majorité des Afghans sont des islamistes extrémistes qui suivent la doctrine sunnite hanéfite et sont proches de la vision wahhabite rigoureuse, alors que la résistance islamique et Al Qaïda en particulier ont trouvé en Irak un pays régi par des règles laïques depuis plus de cent ans, où l'islamisme n'a jamais été toléré et à même été combattu par les moyens les plus féroces.



Défilé de harkis des brigades de la "Sahwa" portant le portrait de leur Chef Suprême, le Cheikh Ahmed Abou Richa, que l'on peut voir ci-dessous avec son Protecteur Suprême, W.

4° - Il est pratiquement impossible de créer des brigades "Sahwa" en Afghanistan; le peuple afghan n'en veut pas. Il refuse de coopérer avec les occupants et il reste attaché aux hautes valeurs de l'Islam. Il n'est jamais arrivé qu'un seul combattant arabe ou taliban ait été livré aux occupants. Les Pachtounes ont un code d'honneur, le pachtounwali1, qui interdit de livrer un Musulman venu demander asile chez eux. C'est pourquoi il a été impossible à ce jour de tuer ou d'arrêter les deux cheikhs, Oussama et Mollah Omar, et que toutes les tentatives pour tuer le troisième, le Dr. Ayman Zawahiri, ont échoué. Il faut rappeler que le Mollah Omar a préféré perdre le pouvoir que livrer son hôte, le dirigeant d'Al Qaïda, alors que les "zaïms" (présidents) du "nouvel" Irak, qu'ils soient sunnites, chiites ou kurdes, se sont comportés comme des chiens face à l'occupant pour avoir des postes dans le nouveau gouvernement.

Obama va au-devant de jours difficiles en Afghanistan. Les forces d'occupation y ont subi de graves pertes et une déroute amère. Ce qui est arrivé aux Britanniques deux fois et aux Soviétiques une fois attend aussi les Usaméricains. Hamid Karzaï mendie une réconciliation aux talibans. Il est pour cela même prêt à quitter le pouvoir qu'il n'a pas.Il se prépare même à retourner dans son exil occidental, après avoir été l'enfant gâté de l'Occident et de l'Usamérique. Le seul point commun entre l'Afghanistan et l'Irak, à part l'occupation US, c'est que les pouvoirs mis en place par l'Usamérique n'y resteront pas un seul jour en place une fois que celle-ci sera partie. Quiconque visite Londres ces jours-ci peut s'y rendre compte que les dirigeants irakiens sont en train d'arranger leurs affaires familiales, financières et immobilières.


1 - Le pachtounwali est l'ancestrale loi orale des Pachtounes, qui régit leurs actions et les rapports au sein de la tribu. Il repose sur 3 principes : l'hospitalité due à tout visiteur; la protection pour tout individu qui la demande; la réciprocité pour tout acte (y compris, en cas d'offense subie, l'application de la loi du talion. « Œil pour œil, dent pour dent ») [NdT]

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