" Ô vous les croyants ! Soyez fermes dans l’accomplissement de vos devoirs envers Dieu, et impartiaux quand vous êtes appelés à témoigner ! Que l’aversion que vous ressentez pour certaines personnes ne vous incite pas à commettre des injustices ! Soyez équitables, vous n’en serez que plus proches de la piété ! Craignez Dieu ! Dieu est si bien informé de ce que vous faites. " (Le Coran, Sourate Al-Maidah (La table servie), 5 :8)
De nombreuses théories circulent sur l'ignoble attaque terroriste de Mumbai. L'opinion dominante, sur la base de ce qui est suggéré par les médias, c'est qu’elle serait l’oeuvre du redoutable groupe terroriste islamiste Lashkar-e-Tayyeba, basé au Pakistan, et qui, depuis qu'il a été officiellement interdit par le gouvernement pakistanais il y a quelques années, a adopté le nom de Jamaat-ud Dawah. Cela pourrait bien être le cas, car le Lashkar a été responsable de nombreux attentats terroristes ces dernières années, en particulier au Cachemire.
Le Lashkar est l'aile militaire du Markaz Dawat wal Irshad, une structure animée par une section pakistanaise de l'Ahl-e-Hadith, un groupe proche des wahhabites saoudiens. Il a son QG à Muridke dans le district de Gujranwala dans le Pendjab pakistanais. Le Markaz a été créé en 1986 par deux professeurs d'université pakistanais, Muhammad Hafiz Saeed et Zafar Iqbal. Ils étaient assistés par Abdullah Azam, un proche collaborateur d'Oussama bin Laden, qui était alors associé à l'Université islamique internationale d'Islamabad. Les fonds pour la mise en place de l’organisation seraient provenus de la redoutable agence de services secrets pakistanaise, l'Inter Services Intelligence (ISI).
Il est donc clair que depuis sa création, le Lashkar a le soutien de l’establishment pakistanais. Le Lashkar a commencé comme organisation paramilitaire de formation de combattants contre les Soviétiques en Afghanistan. Il a rapidement établi des dizaines de camps à travers le Pakistan et l'Afghanistan à cette fin. Les militants produits dans ces centres ont joué un rôle majeur dans des luttes armées, d'abord en Afghanistan, puis en Bosnie, en Tchétchénie, au Kosovo, dans le sud des Philippines et au Cachemire.
Comme d'autres groupes islamistes radicaux, le Lashkar voit l'islam comme un système global. Il considère l'islam comme régissant tous les aspects de la vie tant personnelle que collective, sous la forme de la charia. Il insiste sur le fait qu’un «État islamique» est nécessaire pour la mise en place d'un système islamique, par l’imposition de la charia. Comme le site web officiel du Lashkar le déclare, si un tel État devait être mis en place et si tous les musulmans vivaient dans la stricte obédience des «lois fixées par Allah », « ils seraient en mesure de contrôler le monde entier et d'exercer leur suprématie ».
Et pour cela, ainsi que de pour répondre à l'oppression que subissent selon lui les musulmans dans de nombreuses régions du monde, il insiste sur le fait que tous les musulmans doivent s’engager dans le jihad armé. Le jihad armé doit se poursuivre, déclare le site Web, « jusqu'à ce que l'Islam, comme mode de vie, domine le monde entier et jusqu'à ce que la loi d'Allah soit appliquée partout dans le monde.»
La question du jihad armé traverse les écrits et déclarations du Lashkar et est, en fait, le thème principal de son discours. En effet, sa compréhension de l'islam peut être vue comme étant presque entièrement déterminée par cette préoccupation, tant et si bien que sa lecture de l'islam semble être un produit de son propre projet politique, qui revient effectivement à assimiler l'islam et la terreur. Étant né à la suite de la guerre en Afghanistan, la guerre est devenue la raison d'être même du Lashkar, et son développement ultérieur a été presque entièrement déterminé par cette préoccupation. Les contours de son cadre idéologique sont construits de telle manière que le thème du jihad armé apparaît comme l'élément central de son projet.
Dans les écrits et les discours des porte-parole du Lashkar le jihad apparaît comme un conflit violent (qital) mené contre les «mécréants» qui sont censés être responsables de l'oppression des musulmans. En effet, le Lashkar projette le jihad comme l’un des principes fondamentaux de l'Islam, bien qu’il n'ait pas été traditionnellement inclus dans les «cinq piliers» de la foi. Ainsi, son site web affirme qu’«L’accent est tellement mis sur ce sujet que certains commentateurs et spécialistes du Coran ont fait remarquer que le thème du Coran est le jihad». En outre, on peut lire dans une déclaration du Lashkar : «Il existe un consensus d'opinion entre les chercheurs sur le Coran qu'aucune autre action n’a été expliquée de manière aussi détaillée que le jihad ».
Dans le discours du Lashkar, le jihad contre les non-musulmans est présenté comme un devoir religieux obligatoire pour tous les musulmans d'aujourd'hui. Ainsi, le site Web du Lashkar affirme qu’un musulman qui n’a «jamais eu l'intention de lutter contre les infidèles [...] n'est pas dépourvu d'hypocrisie». Les Musulmans qui ont la capacité de participer ou d’aider au jihad, mais ne le font pas, «vivent dans le péché». Il n'est donc pas étonnant que le Lashkar dénonce tous les musulmans qui ne sont pas d'accord avec sa version pernicieuse et grossièrement déformée de l'islam et de sa mauvaise interprétation du jihad - soufis, chiites, Barelvis* et autres - comme des «déviants» ou des gens extérieurs à l'islam ou même des alliés des « forces anti-islamiques ».
Le Lashkar promet à ses militants qu'ils seront grandement récompensés, à la fois dans ce monde et dans l'au-delà, s’ils s’engagent activement dans la voie du jihad. Non seulement ils auront une place garantie au ciel, mais ils seront aussi «honorés dans ce monde », car le jihad, selon lui, est aussi «la manière de résoudre les problèmes financiers et politiques».Aussi bizarre que cela puisse paraître, le Markaz se considère comme engagé dans un djihad contre les forces «mécréantes», n’hésitant pas à faire de la conquête du monde entier son objectif. Comme Nazir Ahmed, chargé des relations publiques du Lashkar, l’a déclaré une fois, par le biais du soi-disant jihad que le Lashkar a lancé, «l'islam sera appelé à dominer le monde entier». Cette guerre mondiale est considérée comme une solution à tous les maux et à l'oppression subis par tous les musulmans, et il est affirmé que « si nous voulons vivre dans l'honneur et la dignité, alors nous devons revenir au jihad ».
Par le biais du jihad, proclame le site web du Lashkar : « l'islam aura la suprématie dans le monde ». Dans le discours du Lashkar, son soi-disant jihad contre l'Inde est considéré comme rien de moins qu'une guerre entre deux idéologies opposées: l'islam, d'une part, et l'hindouisme, de l'autre. Il met tous les Hindous dans le même sac, comme «ennemis de l'islam». Ainsi, Hafiz Saeed Mohammed, chef du Lashkar, déclare: «En fait, l'Hindou est un ennemi exécrable et la bonne façon de traiter avec lui est celle adoptée par nos ancêtres, qui les a écrasés par la force. Nous devons faire la même chose ».
L'Inde est un objectif majeur pour les terroristes du Lashkar. Selon Hafiz Mohammed Saeed, «Le jihad ne concerne pas seulement le Cachemire. Il englobe toute l'Inde ». Ainsi, le Lashkar voit son jihad comme allant bien au-delà des frontières du Cachemire pour s’étendre à toute l'Inde. Son objectif final, dit-il, est d'étendre le contrôle des musulmans sur ce qui est considéré comme ayant été autrefois territoire musulman, et, par conséquent, à être ramené sous domination musulmane, la création de ce que le Lashkar appelle «le Grand Pakistan par le biais du jihad ».
Ainsi, à un rassemblement monstre de supporters du Lashkar en novembre 1999, Hafiz Mohammed Saeed lança : «Aujourd'hui je vous annonce la dissolution de l'Inde, Inchallah. Nous ne prendrons aucun repos jusqu'à ce que l'ensemble de l'Inde soit dissous dans le Pakistan ». Le Lashkar, selon les médias, a tenté de gagner du soutien parmi les musulmans de l'Inde, et il est possible qu'il ait réussi à en recruter quelques-uns. Si tel est le cas, il a probablement été aidé par la vague de pogroms meurtriers anti-musulmans d’inspiration hindutva** dans tout le pays, souvent encouragés par des institutions de l'État, qui ont coûté la vie à plusieurs milliers d’innocents.
Le fait qu’aucun semblant de justice n’a été rendu dans ces affaires et que l'État n'a pris aucune mesure pour juguler le terrorisme hindutva a accru le profond découragement et le désespoir parmi de nombreux musulmans indiens. Cela pourrait être utilisé par les groupes terroristes islamistes, comme le Lashkar, pour promouvoir leur propre ordre du jour. De toute évidence, donc, afin de lutter contre la grave menace posée par les groupes terroristes tels que le Lashkar, l'État indien doit s'attaquer à la menace de la terreur hindutva ainsi, qui a maintenant pris la forme d’un véritable fascisme. Les deux formes de terrorisme se nourrissent mutuellement, et l’une ne peut être maîtrisée sans s’en prendre à l’autre.Heureusement, et malgré le déni de justice qu’ils vivent, la grande majorité des musulmans indiens ont refusé de tomber dans le piège du Lashkar.
La vague de conférences contre le terrorisme qui ont récemment été organisées par d'importants groupes musulmans indiens est la preuve du fait qu'ils considèrent la compréhension pervertie de l’Islam du Lashkar comme totalement anti-islamique et comme une perversion de leur foi. Ces voix devraient être promues d'urgence, car elles pourraient bien être le plus efficace antidote à la propagande du Lashkar. De nombreux érudits musulmans indiens que je connais et auxquels j’ai parlé insistent sur le fait que la dénonciation par le Lashkar de tous les non-musulmans comme des «ennemis de l'islam» fomente la haine à l'égard des hindous et de l'Inde et que leur compréhension du jihad est une déformation des enseignements de l'Islam. Ils critiquent résolument son appel en faveur d'un califat universel comme une vue de l’esprit insensée.
Et ils sont unanimes pour dire que, loin de servir la cause de la foi qu'ils prétendent épouser, des groupes comme le Lashkar ont causé les plus odieux dommages à l'islam, et sont à blâmer, dans une très large mesure, pour la montée de l'islamophobie au niveau mondial. En même temps que le Lashkar a été suspecté d'être à l’origine des récents attentats à Mumbai, d'autres questions se posent dans certains milieux.
Le fait significatif que Hemant Karkare, le courageux chef de l’ATS (Brigade antiterroriste de la police de Mumbai) qui a été tué dans l'attaque terroriste, avait enquêté sur le rôle groupes terroristes hindutva dans l’ attentat de Malegaon[une bombe dans une mosquée qui a fait 25 morts et 125 blessés le 8 septembre 2006 ; plusieurs officiers de l’armée indienne ont été arrêtés, suspectés d’être à l’origine de l’attentat, dont le lieutenan-colonel Srikant Prasad Purohit, NdT] et ailleurs et qu’il avait reçu des menaces à cause de cela n’est pas passé inaperçu. Ni non plus le fait que l’attaque de Mumbai s'est passée peu de temps après que des révélations troublantes avaient commencé à filtrer sur le rôle de militants hindutva dans des attentats terroristes dans diverses régions de l'Inde.
Que l'attaque de Mumbai ait permis de mettre totalement de côté la question du terrorisme hindutva est aussi significatif. Et puis, il y a la piste israélienne évoquée par certains. Ainsi, le tabloïd à grande diffusion de Mumbai Mid-Day, a titré un article sur un bâtiment où de nombreux militants se terraient : «Attaque de Mumbai: la Nariman House,centre des terroristes ? » On peut y lire :
« Le rôle que la Nariman House est venue à jouer dans tout ce drame de l’attaque est une énigme. La nuit dernière, les résidents ont commandé près de 100 kilos de viande et autres denrées alimentaires, suffisamment pour nourrir une armée ou un groupe de gens pendant vingt jours. Peu de temps après, les dix curieux militants ont pénétré dans la maison, ce qui indique que la nourriture et la viande avaient été commandés en vue de leur visite, a ajouté un autre flic.
« L'un des militants a appelé aujourd’hui une chaîne de télévision et a exprimé ses exigences, mais, fait intéressant, quand on lui a demandé où ils se terraient, il a déclaré qu’ils étaient dans la Nariman House, qui appartient à des Israéliens, où se trouvaient six d'entre eux », a dit un des flics chargés de l’enquête. Depuis le matin, il y a eu des échanges de coups de feu et les militants semblent bien équipés pour contrer les tirs des flics. On se demande [si] ils ont l'appui des résidents, a dit Ramrao Shanker. »
Une main du Mossad et d’Israël dans cette affaire peut sembler tirée par les cheveux à certains mais pas à d’autres, qui rappellent le rôle d’agents israéliens dans la déstabilisation d’un grand nombre de pays, ainsi que la possibilité qu’ils opèrent via certains mouvements islamistes radicaux, comme ce groupe au Yémen, baptisé « Jihad islamique », qui a revendiqué l'attentat contre l'ambassade US à Sanaa, et qui aurait des liens étroits avec les renseignements israéliens. Certains ont posé la question de savoir si le Mossad ou même la CIA ne pourraient pas être en train de pousser au terrorisme, directement ou autrement, des jeunes musulmans désabusés en Inde, au Pakistan ou ailleurs, en jouant sur les griefs des musulmans, en opérant par le biais de groupes islamistes existants ou en en créant de nouveaux pour de telles opérations.
Si cette accusation est vraie, même si elle reste à établir avec certitude, l'objectif pourrait être de radicaliser encore plus des musulmans afin de fournir de plus amples prétextes pour des attaques US et israéliennes contre l'Islam et les pays musulmans. Le fait que la CIA pendant des années a été en contact très étroit avec l'ISI pakistanaise et les groupes islamistes radicaux au Pakistan, est également évoqué à cet égard. Le rôle possible de ces organismes étrangers dans les attaques terroristes que l'Inde a connu ces dernières années pour alimenter la haine anti-musulmane et affaiblir l'Inde fait également l’objet de spéculations dans certains milieux. Ces allégations doivent faire l’objet d’enquêtes approfondies.
Mais le fait est qu'il semble tout à fait dans l'intérêt de l’establishment israélien et des cercles de pouvoir US de créer l'instabilité en Inde, d’alimenter l’hostilité entre Hindous et Musulmans, au point même de conduire l'Inde et le Pakistan à la guerre, et ainsi attirer encore plus l’Inde dans l'étreinte mortelle des sionistes et les impérialistes US. En d'autres termes, indépendamment de qui est derrière les attaques meurtrières de Mumbai, celles-ci semblent convenir aux intérêts politiques et aux agendas de forces politiques multiples et également pernicieuses – radicaux hindous et musulmans, mus par la haine et par une vision manichéenne du monde,mais aussi puissances impérialistes, qui semblent utiliser ces attaques comme un moyen de pousser l'Inde encore plus dans son amok suicidaire.
NdT
* Les Barelvis constituent une importante confrérie parmi les musulmans d’Inde, du Pakistan, du Bangla Desh, d’Afrique du Sud et du Royaume-Uni. Ce sont des soufis sunnites, généralement de rite hanéfite, disciples de Ahmed Raza Khan, né en 1856 à Bareilly, dans le Rohilkhand (aujourd’hui l’Uttar Pradesh). Une de ses thèses les plus pittoresques : « c’est le soleil qui tourne autour de la terre et non la terre qui tourne autour du soleil ». Les barelvis sont en conflit ouvert avec les wahhabites et les deobandis, auxquels se rattachent généralement les talibans afghans.
** Hindutva : hindouïté ou indianité , mot créé par Vinayak Damodar Savarkar dans son pamphlet paru en 1923, Hindutva : qui est hindou ? Ce mot désigne aujourd’hui l’ensemble des formations politiques et paramiltaires de droite qui se revendiquent comme nationalistes hndoues et sont regroupées dans le Sangh Parivar (la famille d’associations).
Source : Mumbai Under Siege
Article original publié le 29/11/2008
Sur l’auteur
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Versione italiana Mumbai sotto assedio
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