samedi 20 décembre 2008

Chroniques de la vie quotidienne dans la France sarkozyenne (Vol.II, N°6) - Mayotte, en France

L’île de Mayotte, dans l’Archipel des Comores, a été illégalement arrachée par la France à la République des Comores après l’accession à l’indépendance de ce territoire d’outre-mer en 1974. Cette annexion se poursuit depuis 34 ans, malgré les résolutions de l’OUA, de l’Union africaine et de l’ONU. Un des aspects les plus tragiques de cette situation est celle des Comoriens des autres îles de l’archipel qui émigrent au risque de leur vie à Mayotte, où ils sont considérés comme étrangers. Ces « sans-papiers », « clandestins », constituent aujourd’hui au moins un tiers de la population de l’île. 16 000 d’entre eux sont expulsés chaque année. La suite ci-dessous.- Basta !

Source : Libération, 18/12/2008
Centre de rétention de Mayotte: la vidéo qui accuse
DOCUMENT VIDEO
«Libération» s'est procuré un document vidéo qui dévoile les conditions inhumaines de rétention des clandestins sur ce territoire français. Retrouvez en kiosque nos témoignages, enquête et reportage sur place.


Centre de rétention de Mayotte: la vidéo qui accuse
envoyé par liberation


Mayotte : le centre de rétention, une zone de non-droit
MAYOTTE, correspondance RÉMI CARAYOL

Des dizaines d’hommes entassés dans une pièce dont la grille est fermée à double tour. Et qui crient, refusant d’être ainsi filmés - certains sont torse nu. A quelques mètres, tout près des poubelles où se trouvent les restes du repas, des femmes et des enfants sont couchés sur des matelas de fortune. Des gamins crient, d’autres pleurent. Certains dorment. Derrière les toilettes, un jeune homme qui a fui la promiscuité s’est assoupi à même le sol.
Les images du film que Libération s’est procuré, tourné en octobre par un agent de la Police aux frontières (PAF) de Mayotte au sein du centre de rétention administrative (CRA) de Pamandzi, sont édifiantes. Ce jour-là, il y avait 202 retenus dans le CRA, qui n’est habilité à n’en recevoir que 60…
«Inadmissibles». «Ce film montre ce que nous vivons au quotidien», indique un agent de la PAF qui, après avoir vu les images, a accepté de nous répondre de manière anonyme. Selon lui, «il est très fréquent que le nombre de retenus dépasse les 150, voire les 200». «Le record cette année est de 240», assure-t-il. Quant aux conditions d’accueil, «elles sont inadmissibles. […] Il n’y a que 60 matelas - et encore depuis peu. Les douches sont visibles depuis la salle des hommes. Il n’y a pas de toilettes réservées aux femmes et aux enfants.»
Un autre agent de la PAF de Mayotte va plus loin. «Les conditions de rétention des sans-papiers sont indignes, dit-il. Les gens sont traités comme des animaux. Et nous, on a la pression de la hiérarchie pour faire notre boulot sans rien dire. L’objectif, c’est de répondre aux attentes du ministère.» Si cet agent a accepté de nous parler, c’est d’abord parce qu’il n’a «pas fait ce boulot pour traiter ainsi les gens. Ce que je vois à Mayotte, je ne l’ai vu nulle part ailleurs». C’est aussi «parce que s’il y a un accident un jour, c’est nous, les lampistes, qui payerons, alors que la hiérarchie est parfaitement au courant de ce qui se passe ici. Par exemple, on est obligé de fermer à clé la salle des hommes pour éviter qu’ils s’échappent par le toit. Nous ne sommes que 5 agents, nous ne pouvons donc tous les surveiller. Mais s’il y a un incendie, ils seront bloqués… Nous sommes dans l’illégalité !»
Le CRA de Mayotte détient le record national de reconduites à la frontière avec 16 000 refoulés en 2007 - un sommet qui devrait être égalé en 2008. Des chiffres faramineux s’expliquant par la proximité historique, géographique et culturelle des Mahorais avec les Comores, d’où viennent la majorité des immigrés (lire page suivante).
Malgré les travaux en cours afin d’améliorer les conditions d’accueil - une pièce pour la restauration, des toilettes pour femmes et un coin enfants sont prévus, Flore Adrien, présidente du groupe local de la Cimade, dénonce elle aussi ces conditions d’accueil «indécentes». Surtout, affirme-t-elle, «le droit des personnes n’est pas respecté : des mineurs isolés sont expulsés, des Français qui n’ont pas le temps de montrer leurs papiers ou des Comoriens présents depuis vingt ans sur le territoire aussi…»
En décembre 2006, le syndicat Unsa police Mayotte avait déjà dénoncé «la surpopulation et le "toujours plus" [engendrant] des tensions que le personnel du CRA ne peut plus supporter». «Allons-nous attendre un incident grave pour agir ?» interrogeait le syndicat dans un tract, qui rappelait que «pour satisfaire aux lois de la République, nous respectons les textes en vigueur, mais il faut aussi que l’administration respecte les règles qu’elle a elle-même édictées».
Avertissements. Le 15 avril, la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) avait jugé ce CRA «indigne de la République». «Les conditions de vie […] portent gravement atteinte à la dignité des mineurs retenus», notait également la commission. «Malgré ces avertissements, la direction n’a rien changé», déplore l’un de nos informateurs. «Certes il y a des travaux pour améliorer l’accueil, mais la logique de traiter ces personnes comme des chiffres reste la même. Et les moyens ne suivent pas.»
Yvon Carratero, le directeur de la Police aux frontières cité dans un rapport de la commission des lois du Sénat publié début décembre, affirme que le CRA, «qui accueillait naguère 200 personnes», en accueille désormais «50 à 80, grâce à une meilleure organisation des modalités d’éloignement». Le film, tourné après la rencontre du fonctionnaire avec les sénateurs, prouve le contraire. «Rien n’a changé», certifie l’un de nos deux informateurs.

Un scoop multimédia
Tout a commencé avec l’un de nos photographes mis en garde à vue à Mayotte, dans le cadre d’un reportage sur les clandestins sur ce territoire français. Une péripétie qui, quelques contacts plus tard, lui permettra de se procurer une vidéo choc. Après une collaboration avec un journaliste local, ils se présentent mardi à Libération. Un court visionnage et l’évidence s’impose : le document, filmé dans un centre de rétention, est matière à événement pour Libération. Plus encore, il doit également donner lieu à une diffusion exclusive sur le site du journal. Très vite, tout le monde s’est donc mis au travail. Du côté du journal papier, il faut à la fois vérifier les sources et l’origine de la vidéo, s’assurer que plusieurs agents de la PAF (la police de l’air et des frontières) sur place, même sous couvert de l’anonymat, sont prêts à témoigner des conditions de vie dans le centre de rétention. Préparer un reportage plus large aussi sur la situation dramatique des populations de migrants à Mayotte. Il faut encore sélectionner les images du film que nous pouvons reproduire dans le quotidien, tout en renvoyant le lecteur vers liberation.fr et le film original. Sur le site, dès hier soir, un bref extrait de la vidéo a été montré, afin de mobiliser au maximum la communauté des internautes sur la situation indigne des étrangers sans papiers à Mayotte. Ce matin, le document y est diffusé de façon intégrale.


Des expulsions sans témoins
ANALYSE
La Cimade n’a pas pu obtenir de bureau dans le centre de rétention de Mayotte.

CATHERINE COROLLER

Les cris d’alarme lancés aussi bien par Dominique Versini, la défenseure des enfants (lire page 3), que par des associations comme la Cimade sur les conditions de d’enfermement des étrangers au Centre de rétention administrative (CRA) de Mayotte ont-ils été entendus ? Lors de son passage dans l’île, le 16 mai, Yves Jégo avait promis la construction d’un nouveau CRA de 140 places. Hier, les services de Brice Hortefeux affirmaient que l’engagement serait tenu. Une somme de 20 millions d’euros devrait être débloquée d’ici à 2011 à cette fin. La date d’ouverture de ce nouveau centre n’est en revanche pas fixée.
Chiffres en hausse. La volonté du ministre de l’Immigration est claire: il n’entend pas relâcher la «pression très forte» mise sur les clandestins «dans les départements et collectivités d’outre-mer».«En 2006, le nombre d’éloignements y a progressé de 53 %, pour atteindre près de 24 000, se félicitait-il en novembre 2007. Sur les neuf premiers mois de l’année 2007, nous dépassons nos résultats de la même période en 2006.» A Mayotte, le chiffre des expulsions est de 16 000 chaque année, dont 2 à 3 000 mineurs.
Problème : ces reconduites à la frontière se font sans témoins. La Cimade qui dispose par convention avec l’Etat de bureaux dans les CRA métropolitains n’a jamais pu obtenir les mêmes facilités à Mayotte. «Ça fait très longtemps qu’on demande des habilitations et qu’on ne les a pas, regrette Damien Nantes, responsable à la Cimade du service défense des étrangers reconduits. Ponctuellement, des bénévoles peuvent s’y rendre en visite à la demande d’étrangers ou de leur famille pour tenter de les assister, mais c’est tout.» Et le ministère semble se satisfaire de cette situation. Mayotte ne figurait pas dans l’appel d’offre lancé en août pour ouvrir à d’autres associations que la Cimade, les missions d’information et d’assistance juridique dans les centres de rétention administrative. Appel d’offre retoqué depuis par le tribunal administratif. «Il n’y a pas de volonté ministérielle que les étrangers retenus à Mayotte bénéficient des mêmes mesures d’accompagnement qu’en métropole, et que la société civile voit un peu ce qui se passe dans ce centre», commente Damien Nantes.
Dans les clous. En métropole, la situation est évidemment différente. La vigilance des associations contraint l’Etat à rester à peu près dans les clous de la légalité. Les objectifs d’Hortefeux sont pourtant les mêmes: expulser un maximum de clandestins. L’objectif était de 26 000 reconduites pour 2008. Le ministère n’a pas fait connaître les chiffres définitifs même s’il déclarait en octobre que le nombre des expulsions pour les neuf premiers mois de 2008 dépassait celui de toute l’année 2007. La volonté d’Hortefeux de mettre une Cimade, jugée trop critique, en concurrence avec d’autres associations dans les CRA a également été vue comme une tentative de poser une chape de plomb sur ce qui se passe dans ces lieux.

Départementalisation : un référendum en mars
Un référendum aura lieu le 29 mars sur la départementalisation de Mayotte, a annoncé mardi le secrétaire d’Etat à l’Outre-Mer Yves Jégo, à l’issue d’une réunion à Paris avec Nicolas Sarkozy et des élus mahorais. Mayotte, qui a aujourd’hui le statut de collectivité territoriale, pourrait devenir si le oui l’emporte, le cinquième département d’outre-mer (avec la Guyane, la Guadeloupe, la Martinique et la Réunion) à l’issue des élections cantonales de 2011. Le président UMP du conseil général de Mayotte, Ahamed Attoumani Douchina, a souligné que la départementalisation, et les prestations sociales qui iront avec, sera «progressive et adaptée».

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