par
Annamaria Rivera, 14/12/2012. Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Six morts violentes de personnes immigrées en si peu de jours n'est pas un fait anodin. C'est l'indice tragique d'un état de pauvreté et de marginalisation, qui est aggravée non seulement par la discrimination, mais aussi par la récession qui frappe de manière particulièrement impitoyable les derniers parmi les derniers. Pourtant, des incidents tels que ceux que j'ai décrits sont généralement traités par les médias avec la plus grande discrétion, relégués à des brèves dépêches d'agence, souvent ignorées, même par les journaux locaux. Dans ces cas, vous ne trouverez pas, bien mise en valeur dans la titraille, la référence à la nationalité des victimes, peut-être réduite à "ethnie" : cette règle ne s'applique que lorsque des immigrés sont accusés d'un crime petit ou grand, réel ou imaginaire.
Il y a, bien sûr, des exceptions. Par
exemple, nous savons quelque chose de l'histoire de Jimmy, mort de
froid à Naples, grâce au fait que, trois jours après sa mort, on a
évoqué son souvenir lors d'une conférence de presse de présentation des
initiatives de la municipalité en faveur des SDF. Et
si nous connaissons certains détails de sa biographie, c'est avant tout
grâce à Fabrizio Geremicca, qui avait écrit une notice nécrologique le
11 décembre sur Corriere del Mezzogiorno.it, en lui réservant la pietas qu'il méritait, exprimées par des mots efficaces et respectueux:
"Comment se sont passées les dernières heures de Jimmy dans la nuit de Saint-Ambroise à l'Immaculée, fouetté par la pluie et le libeccio [vent violent de secteur Sud-Ouest,NdT],incapable de se mettre à l'abri parce qu'il ne tenait plus sur ses jambes depuis longtemps, personne ne pourra jamais le dire. S'il a glissé de l'étourdissement par l'alcool dans l'inconscience ou si, au contraire, il a revécu en un instant ses 60 ans de vie: l'Égypte de son enfance, le travail comme cuisinier sur un pétrolier, un fils dont il ne se rappelait même plus le visage, la solitude, l'amour pour Ylenia, qui est retournée il y a quelques années en Ukraine."
Le travail comme cuisinier à bord des pétroliers: ce détail suffit pour deviner une biographie et l'inexorable dégringolade sociale dans le pays qui ne peut être dit "d'accueil" que par sarcasme. Nous pouvons essayer d'imaginer la perte d'un emploi, le débarquement au port de Naples, le poids de la crise, de la stigmatisation et de la discrimination, la défaite et la honte à l'idée de rentrer défait au pays, donc la glissade vers l'alcool et la rue mais aussi les sursauts vitaux : l'amour d'Ylenia, elle aussi ravagée par l'alcool, que Jimmy venait voir tous les jours à l'hôpital où elle avait été admise. Il lui apportait, raconte une bénévole à Geremicca, parfois une orangeade, parfois un biscuit, bref ce qu'il pouvait.
Quant à la famille équatorienne, nous pouvons imaginer sa vie à partir des quelques détails fournis par la presse : les deux hommes plus âgés, peut-être des frères, probablement des amis, le fils de l'un des deux, âgé de vingt-cinq ans, aujourd'hui hospitalisé dans un état grave, une jeune femme, peut-être sa femme, et deux petites filles, dont une de quatre ans, à ce que l'on sache ... Nous pouvons les voir entassés dans cette "maison" au rez-de-chaussée, quelques mètres carrés dans l'obscurité occupés par cinq ou six lits. Les deux plus vieux résignés au destin de déclassement social, comme disent les sociologues, habituellement réservé aux migrants et le couple, en revanche, ayant encore l'espoir d'une promotion ou au moins d'un avenir moins sombre ; et enfin les petites filles inconscientes, comme tous les enfants, et heureuses du peu que chaque jour offre.
En l'absence d'information, nous ne pouvons rien supposer, par contre, sur la femme chinoise morte asphyxiée à son domicile et de celle d'Europe de l'Est, carbonisée dans une tentative de rendre moins mordant le froid d'une nuit polaire sur la côte romaine. Et nous savons très peu de choses du "détenu marocain" qui a été une fois une personne et a rejoint les rangs de ceux qui se sont ôté la vie dans les prisons italiennes surpeuplées et cruelles : 59 depuis le début de 2012, selon “Ristretti Orizzonti” ("Horizons restreints"). Sur lui, on ne peut qu'imaginer le harcèlement subi en prison, la désolation et le désespoir, peut-être même la panique claustrophobe devenue souffrance quotidienne, encore plus pénible pour quelqu'un qui était parti hardiment en mer à la recherche d'un espace existentiel plus large que celui du village de la province de Settat ou peut-être de Beni Mellal, qui sait, où il était né.
Nous ne pouvons qu'imaginer. Nous ne pouvons pas savoir, parce que les vies des migrants sont les plus insignifiantes parmi les vies des sans nom, de sorte que leurs morts sont légères comme une plume. La diversité des personnes d'origine immigrée, on le sait, est généralement enfermée dans la catégorie stigmatisante des "extra-communautaires" (même si elles proviennent d'un pays de l'UE) ou - le cas échéant, et c'est souvent le cas – de "clandestins". Ainsi, pour en rester au jeu médiatique : en quelques jours six personnes de la catégorie des "extra-communautaires" sont mortes d'une mort violente ; comment l'information aurait-elle réagi si dans ce court laps de temps, six personnes tout autant inconnues du grand public, mais appartenant à la catégorie des entrepreneurs ou des hauts dirigeants étaient mortes de mort violente ?
"Comment se sont passées les dernières heures de Jimmy dans la nuit de Saint-Ambroise à l'Immaculée, fouetté par la pluie et le libeccio [vent violent de secteur Sud-Ouest,NdT],incapable de se mettre à l'abri parce qu'il ne tenait plus sur ses jambes depuis longtemps, personne ne pourra jamais le dire. S'il a glissé de l'étourdissement par l'alcool dans l'inconscience ou si, au contraire, il a revécu en un instant ses 60 ans de vie: l'Égypte de son enfance, le travail comme cuisinier sur un pétrolier, un fils dont il ne se rappelait même plus le visage, la solitude, l'amour pour Ylenia, qui est retournée il y a quelques années en Ukraine."
Le travail comme cuisinier à bord des pétroliers: ce détail suffit pour deviner une biographie et l'inexorable dégringolade sociale dans le pays qui ne peut être dit "d'accueil" que par sarcasme. Nous pouvons essayer d'imaginer la perte d'un emploi, le débarquement au port de Naples, le poids de la crise, de la stigmatisation et de la discrimination, la défaite et la honte à l'idée de rentrer défait au pays, donc la glissade vers l'alcool et la rue mais aussi les sursauts vitaux : l'amour d'Ylenia, elle aussi ravagée par l'alcool, que Jimmy venait voir tous les jours à l'hôpital où elle avait été admise. Il lui apportait, raconte une bénévole à Geremicca, parfois une orangeade, parfois un biscuit, bref ce qu'il pouvait.
Quant à la famille équatorienne, nous pouvons imaginer sa vie à partir des quelques détails fournis par la presse : les deux hommes plus âgés, peut-être des frères, probablement des amis, le fils de l'un des deux, âgé de vingt-cinq ans, aujourd'hui hospitalisé dans un état grave, une jeune femme, peut-être sa femme, et deux petites filles, dont une de quatre ans, à ce que l'on sache ... Nous pouvons les voir entassés dans cette "maison" au rez-de-chaussée, quelques mètres carrés dans l'obscurité occupés par cinq ou six lits. Les deux plus vieux résignés au destin de déclassement social, comme disent les sociologues, habituellement réservé aux migrants et le couple, en revanche, ayant encore l'espoir d'une promotion ou au moins d'un avenir moins sombre ; et enfin les petites filles inconscientes, comme tous les enfants, et heureuses du peu que chaque jour offre.
En l'absence d'information, nous ne pouvons rien supposer, par contre, sur la femme chinoise morte asphyxiée à son domicile et de celle d'Europe de l'Est, carbonisée dans une tentative de rendre moins mordant le froid d'une nuit polaire sur la côte romaine. Et nous savons très peu de choses du "détenu marocain" qui a été une fois une personne et a rejoint les rangs de ceux qui se sont ôté la vie dans les prisons italiennes surpeuplées et cruelles : 59 depuis le début de 2012, selon “Ristretti Orizzonti” ("Horizons restreints"). Sur lui, on ne peut qu'imaginer le harcèlement subi en prison, la désolation et le désespoir, peut-être même la panique claustrophobe devenue souffrance quotidienne, encore plus pénible pour quelqu'un qui était parti hardiment en mer à la recherche d'un espace existentiel plus large que celui du village de la province de Settat ou peut-être de Beni Mellal, qui sait, où il était né.
Nous ne pouvons qu'imaginer. Nous ne pouvons pas savoir, parce que les vies des migrants sont les plus insignifiantes parmi les vies des sans nom, de sorte que leurs morts sont légères comme une plume. La diversité des personnes d'origine immigrée, on le sait, est généralement enfermée dans la catégorie stigmatisante des "extra-communautaires" (même si elles proviennent d'un pays de l'UE) ou - le cas échéant, et c'est souvent le cas – de "clandestins". Ainsi, pour en rester au jeu médiatique : en quelques jours six personnes de la catégorie des "extra-communautaires" sont mortes d'une mort violente ; comment l'information aurait-elle réagi si dans ce court laps de temps, six personnes tout autant inconnues du grand public, mais appartenant à la catégorie des entrepreneurs ou des hauts dirigeants étaient mortes de mort violente ?
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