LRU ou Le Ras le bol
des Universitaires !
Vis ma vie
d’enseignant-chercheur en France
De nos jours, dans une
université française ayant conquis son « autonomie » grâce à la LRU.
Novembre 2012. Il est 7h50
lorsque Marc Sympa, maître de conférences en sociologie dans une grande
Université de la banlieue parisienne arrive en cours, salle 318, Bâtiment D.
Pour le trouver, on ne peut pas se tromper, il est encadré par une rangée de
containers et de poubelles. Il allume les néons – l’un d’eux a lâché. « Depuis
quand ? » se demande-t-il machinalement… Peu de différence de température entre
dehors et dedans ; un coup d’œil sur la fenêtre cassée, store pendant. « Va
falloir mettre le paquet pour capter leur attention ». Il s’installe, toujours
un peu fébrile. Lui-même a parfois du mal à y croire mais il aime
l’enseignement !
Les étudiants arrivent
: « ça caille, y a pas de chauffage ? ».
- « Vous en faites
pas, vous allez vous réchauffer en allant chercher des chaises, franchement je
déteste quand vous êtes parterre autour de moi…
- Mais pourquoi on est
80 en TD dans une salle pour 20 ? C’est le tiers monde ici ?! Mon cousin à
SciencesPo, son problème c'est de savoir s'il passe un an à New York ou à
Londres ! »
Il tente de commencer
son cours, valse de chaises, froid et courant d’air…
- « M’sieur, sérieux, on peut pas prendre des notes avec des gants !». Lui-même
a gardé son manteau.
- « Vous avez raison ! Je vais essayer de trouver une autre salle ».
Il va finir par la
trouver ; ils ont de la chance dans son université, à partir du 1er
novembre, ils allument les 2/3 des chauffages. Ce n'est plus le cas partout, il
le sait : sa copine, maître de conf' aussi, travaille dans une
"petite" université de province – 3 heures de train, des allers-retours
chaque semaine, 2 loyers, les frais de transports à leur charge (le salaire amputé
de près d’1/5ème , ils espèrent une mutation (300 candidats pour
un même poste) pour mettre un bébé en route, déjà 3 ans d’attente…
11 h 12. Retour au
bureau, dans le grand préfabriqué blanc sale au fond du campus : Marc tente de
se concentrer sur la dernière version d’un papier qu’il doit rendre au plus
vite. Une des meilleures revues de sa discipline a finalement pris son article,
la traduction anglaise semble prévue ; il en est très heureux ; quelques
vérifications bibliographiques et ce sera fini des multiples relectures et
réécritures. « Dire que certains pensent qu’on n’est pas assez évalués… qu’on a besoin d’une
AERES ! », soupire-t-il.
Marc vérifie ses
mails. Déjà une douzaine : 3 demandes de rendez-vous d'étudiants pour discuter
de leur sujet de stage, de mémoire ; le secrétariat qui réclame "en
urgence" les sujets d'examen de janvier pour l’enregistrement
informatisé ; un collègue qui tente de monter une équipe suite à un appel
d'offre et souhaite "aspirer le CV" de Marc ; un appel à
communication mais il n’a pas le temps d’y répondre ; des colloques
internationaux auxquels il serait bon de participer, mais le labo n'a plus de
sous pour financer des déplacements...
Marc
attend un mail de réponse à son projet ANR pour savoir s’il pourra financer un post-doc, pour une
jeune docteure qu’il suit depuis le début et qui galère. Elle espère décrocher
un poste, peut-être cette année (l'an dernier, il y avait 38 postes dans sa
discipline pour 500 candidat-e-s). Marc lit l'intitulé des mails restants : « Appel des 50 000 précaires, Lettre ouverte des Présidents
d’Université à Madame Fioraso, enquête sur l’insertion professionnelle des
docteurs… Bonjour l’ambiance ». Rien de l’ANR… au boulot. Sa collègue de bureau
arrive ; elle doit passer quelques coups de fil avant d’aller en cours,
s’en excuse. Heureusement qu’il l’aime bien.
- « T’inquiète,
je vérifie quelques références pour mon papier sur CAIRN et c’est bon.
- Super,
félicitations ! J’ai hâte de lire ça ! Enfin après avoir corrigé mes 200 copies
bien sûr ».
Ils échangent un
sourire. Il perd vite le sien en lisant sur son écran « votre université n’est
plus abonnée à CAIRN, vous ne pouvez accéder au service…».
- « C’est dingue ce
truc ! T’as vu ça ? Comment on écrit nos papiers, si on peut plus lire ceux des
autres ? Là ça commence à être du grand n’importe quoi ! Bon, je vais à la
bib’ en espérant qu’ils aient maintenu les abonnements papiers ». Il laisse sa
collègue devant l’ordi, incrédule.
Arrivée à la
bibliothèque, sit in étudiant devant la porte :
- « Monsieur, ils n’ont pas remplacé la bibliothécaire partie à la retraite, du
coup c’est fermé. Il paraît que la bibli de socio va disparaître. On fait
comment pour réviser nos exams ? ».« Et moi pour mon papier ? C’est cuit ».
Il tourne les talons, commence à être sérieusement agacé.
Sur
le chemin du bureau, Marc croise un collègue, de sciences "dures",
élu au Conseil d’Administration de la fac, qui vide son sac : « … sans parler
du gel des postes. Profite bien de Noël, parce que vu qu'on sucre les primes administratives
et pédagogiques... Et oui, notre université est en déficit comme une
vingtaine d’autres, logiquement si on continue avec cette LRU, c’est le dépôt
de bilan ! Bientôt, on ne pourra plus nous payer ! »
Marc est
reparti, essayant de se concentrer à nouveau sur son papier et ses références à
compléter. Au bureau, coup d’œil sur les mails : la réponse de l’ANR est enfin
là, sa collègue jeune docteure aussi. Mentalement il croise les doigts.
- « Bonjour, vous allez bien ? Je vous ai apporté un exemplaire de mon bouquin.
Je suis trop contente, il vient de sortir, bon y a qu’1 ou 2 chapitres de ma
thèse… « Le reste est pas assez sexy » a dit l’éditeur. Je croyais qu’on parlait
d’un ouvrage scientifique, mais bon… Des nouvelles de l’ANR ?
- A l’instant ! Je n’ai pas encore regardé. J’espère que ça a marché, vous
avez bossé gratos sur ce projet en plus… les 1500 euros demandés ne seront pas
du luxe à Bac + 10 ! Je ne vous promets rien, on a demandé un an,
peut-être qu'on aura 6 mois…. ».
Il lit le mail : 1
refus, 1 justification en 6 lignes, 3 mois de boulot foutu…
- « C’est râpé, désolé. Je vous épargne les motifs du refus. C’est fou,
on ne bosse plus que comme ça : projet, recherche de financement, projet,
évaluation du projet, quand est-ce qu’on fait vraiment not’boulot
là-dedans ? C’est débile, infantilisant, chronophage… et ça coûte un fric
dingue ! On ne réduira pas les déficits comme ça ! Bon, vous avez de quoi
pour tenir jusqu’à l’ouverture du concours pour les postes ? Des vacations de
cours ?
-
J’ai mes parents ! (rires)… Sérieusement, les vacs seront
peut-être payées mais dans 6 mois au mieux.
« J’espère que vous
n’en avez pas besoin pour vivre », m’a dit la responsable de l’administration.
Et puis, ben, là je rédige un autre projet pour un financement européen, avant
j’étais une machine à faire des disserts, maintenant c’est des projets !
- Vous avez un super CV, des articles dans les meilleures revues, le séjour à
Berkeley… même un bouquin ! Ça va marcher ! En plus à Paris 18, il y a quelques
postes où vous collez au profil d'enseignement et de recherche, c’est parfait…
- Vous n’avez pas entendu qu’ils gelaient le recrutement de 30 postes sur les
50 prévus à P18, toutes disciplines confondues ? »
« Quel gâchis ! » se
dit Marc en la regardant sortir. La journée lui semble déjà bien longue… à sa
montre, il est à peine midi ! Il reprend ses mails, signe l’appel des 50 000,
lit la signature de son Président au bas de la lettre ouverte et décide
d’écrire lui aussi à sa Ministre… tant pis pour son article, ça attendra.
Son texte,
vous venez de le lire : c’est le récit d'une demi-journée ordinaire, dans
une université broyée par la LRU, entre des étudiants assis par terre et des
précaires de tous âges qui font tourner la boutique. Chaque fait rapporté ici
est réel.
La sélection
à l’entrée de la fac, Marc n’en veut pas. Comme de l’augmentation inconsidérée
des droits d’inscription. S’il est arrivé là c’est grâce à l’école publique, à
l’université publique. Ce dont il a pu profiter, il veut que les autres y aient
droit aussi. Il croit toujours au service public de l’Enseignement Supérieur et
de la Recherche et ne comprend pas comment il a pu être mis à mal aussi
profondément, aussi rapidement. Marc n’est pas un révolutionnaire, il aimerait
juste pouvoir faire son travail. Pour cela, ce serait bien que l’Etat se
remette à faire le sien : en abrogeant la LRU, en supprimant les agences
ANR et AERES, en titularisant tous les précaires, en augmentant la masse
salariale et le nombre de postes.
Marc Sympa
en colère
Contact : marcsympaencolere@gmail.com
Si
vous souhaitez soutenir sa démarche en inscrivant votre nom sous son courrier,
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