mardi 25 décembre 2012

Le discours qui explique l'indignation de l'Inde après un viol en bande et comment les femmes sont traitées au jour le jour

Des milliers de personnes ont manifesté toute la journée à New Delhi, comme cela a été le cas toute la semaine après le viol en bande d'une femme à bord d'un bus privé. Des dizaines de militants et de policiers ont été blessés dans les affrontements d'aujourd'hui, et les responsables appellent au calme. Les politiciens promettent de tenir leurs promesses cette fois-ci. Le ministre de l'Intérieur Sushil Kumar Shinde a tenu une conférence de presse et a promis que le gouvernement va "augmenter le nombre de bus de nuit, suivre ces bus avec des GPS, s'assurer que les conducteurs portent les badges d'identité et augmenter le nombre de policiers sur les routes très fréquentées."

Il y a eu des manifestations tous les jours dans la capitale de l'Inde après qu'une jeune femme a été violée par six hommes dans un bus. Photo AP
 
Il faudra plus que ça pour que les femmes de l'Inde se sentent en sécurité. L'attaque, qui a eu lieu le 16 décembre, a été si violente et horrible qu'il a fallu procéder à l'ablation d'une partie des intestins de la victime de 23 ans. Mais c'est l'injustice au jour le jour qui amène les gens à reprendre leurs rues. Comment le gouvernement va-t-l s'y prendre pour faire cesser tout ces attouchements déplacés qui se produisent sur ses autobus tous les jours? Ou ces mains baladeuses qui pénètrent par les côtés des pousse-pousse ? Ou tous ces sifflements et huées? Ces sont les questions que les gens auraient aimé poser quand ils ont vu Shinde à la télévision. En effet, que peut vraiment faire le gouvernement à propos de tout ça ?
Dans un discours dont la traduction a fait un tabac sur le ouèbe, Kavita Krishnan capte le pouls de l'indignation de l'Inde en ce moment. Elle est la secrétaire de l'Association progressistes des femmes de l'Inde (All India Progressive Women’s Association ). Le viol collectif a été brutal, certes, mais le langage codé utilisé pour discuter de la façon d'assurer la sécurité des femmes l'est tout aussi.
"... le mot "sécurité" par rapport aux femmes a été beaucoup trop utilisé – nous savons toutes à quoi cette "sécurité" fait référence, nous avons entendu nos parents l'utiliser, nous avons entendu nos communautés, nos directeurs, nos gardiens l'utiliser. Les femmes savent à quoi "sécurité" se réfère. Cela signifie : tenez-vous bien ; restez chez vous ; ne vous habillez pas d'une manière particulière; n'exercez pas votre liberté, ainsi vous serez en sécurité.  Toute une gamme de lois et d'institutions patriarcales nous disent quoi faire sous couvert de nous garder "en sécurité". Nous rejetons entièrement cette notion. Nous n'en voulons pas."
Dans un article cette semaine pour Quartz, l'auteure de Delhi Veena Venugopal a indiqué que les viols sont en hausse parce que les femmes sont de plus en plus nombreuses à porter plainte pour ce crime en l'appelant par son nom, et non pas "harcèlement sexuel", ni "taquinage d'Eve" ni "les hommes sont comme ça".  Or, comme l'a dit Krishnan dans son discours galvanisant fait en hindi, le taux de condamnations pour viol a connu une baisse, passant de 46% en 1971 à 26% en 2012.

Ces statistiques et leurs trajectoires opposées sont révélatrices de la façon dont les femmes indiennes se voient et s'affirment et de la façon dont la société et ses institutions restent coincées, et même régressive. Il n'y a pas de meilleure façon de diminuer les avancées des femmes sur les lieux de travail (et sur le front intérieur) ces dernières années. Comme le dit Krishnan:
"Si elle veut simplement sortir le soir, si elle veut sortir et acheter une cigarette ou aller faire un tour dans la rue - est-ce un crime pour les femmes? ... Nous croyons que peu importe si elle est à l'intérieur ou à l'extérieur, que ce soit le jour ou la nuit, quelle que soit la raison, elle peut être habillée comme elle veut - les femmes ont droit à la liberté. Et c'est cette liberté sans peur que nous devons protéger, sauvegarder et respecter."
Il est ridicule que le même gouvernement qui ne pouvait pas assurer la sécurité des gens lors d'une manifestation aujourd'hui croie pouvoir faire mieux puissent faire mieux pour les femmes. Augmenter les transports de nuit et la sécurité est un début. Installer un téléviseur et un lecteur de DVD et diffuser à la demande le discours de Krishnan, ou même le diffuser en boucle pourrait être plus efficace.

"La liberté sans peur est ce que nous devons protéger, sauvegarder et respecter"
Suite à l'attaque sexuelle bestiale contre une étudiante paramédicale de 23 ans à Delhi, la capitale, ainsi que d'autres villes à travers le pays, a connu de nombreuses protestations réclamant justice non seulement pour la survivante, mais aussi de meilleures lois et des mesures sévères contre les délinquants sexuels. Lorsque le mercredi 19 décembre les étudiants et les protestataires ont marché vers la maison de la Première ministre de Delhi Sheila Dikshit, la police a tenté de les repousser avec des canons à eau. Kavita Krishnan, secrétaire de l' Association progressistes des femmes de l'Inde [All India Progressive Women’s Association (AIPWA)], a dit pourquoi Sheila Dikshit et l'establishment politique sont responsables de la situation sociale déplorable des femmes en Inde.-Rédaction Tehelka
Aujourd'hui, nous avons manifesté devant la résidence de (la Première ministre) Sheila Dikshit. Pourquoi exigeons-nous sa démission? Il faut que les gens comprennent pourquoi - il est vrai que Mme Dikshit a fait une déclaration disant que l'incident (le viol en bande) s'est produit à bord d'un bus privé, et non pas un bus de la DTC (Delhi Tourism Corporation), alors comment cela  pourrait-il relever de sa responsabilité. C'est ce que nous sommes venus lui dire - si un bus transportant des barres de fer et des violeurs sillonne ouvertement la ville sans règles ni règlements, s'il peut prendre des passagers à tout moment, n'importe où - alors madame, vous êtes responsable de ça, ce n'est de la responsabilité de personne d'autre, c'est la vôtre. Si cette jeune fille se bat actuellement pour sa vie, vous êtes responsable. Pourquoi est-ce que cette barre de fer se trouvait dans ce bus ce jour-là - c'est une chose à laquelle vous seule pouvez répondre, personne d'autre ne le peut. Vous ne pouvez rejeter la faute sur personne d'autre pour cela.
Mais il ya une question plus pressante encore - une chose dont nous avons parlé, dont nous sommes ici pour parler aujourd'hui - quand cette journaliste Soumya (Vishwanathan) a été assassinée, Sheila Dikshit a publié une autre déclaration disant: "Si elle (Soumya ) était dehors à 3 heures du matin, elle a été trop aventureuse", - nous sommes ici pour lui dire que les femmes ont tout le droit d'être aventureuses. Nous voulons être aventureuses. Nous voulons être téméraires. Nous voulons être imprudentes. Nous ne ferons rien pour notre sécurité. Ne vous avisez pas de nous dire comment nous habiller, quand sortir le soir, dans la journée, ou comment marcher ou de combien de gardes du corps nous avons besoin !
Lorsque Neeraj Kumar a été récemment nommé chef de la police, il a tenu une conférence de presse où il a dit : regardez, comment la police peut-elle faire quelque chose contre les incidents de viol? La statistique qu'il a présentée montraient que la plupart des viols sont commis par des personnes connues de la femme. C'est une statistique authentique - mais cela ne devrait-il pas rendre plus facile l'interpellation du violeur ? Notre question à la police n'est pas : "pourquoi n'avez-vous pas empêché cela ?". Mais le taux de condamnations est passéede 46% en 1971 à 26% en 2012 - qui est responsable de cela? Le fait est qu'il y a un écart énorme dans l'enquête de la police, il y a une incohérence - ils n'ont pas de procédure en place pour savoir comment s'y prendre avec une victime de viol. Toutes les femmes ici savent que la police de Delhi n'a qu'une seule façon de faire face à une telle situation - si vous entrez dans un poste de police aujourd'hui pour vous plaindre d'avoir été victime de violences sexuelles, la première chose qu'ils vont vous dire, c'est de ne pas déposer de plainte. Des gens étranges, sortis de nulle part, vont commencer à se rassembler au poste pour vous "expliquer" : " Petite, ne porte pas plainte". Rien ne se passera, sauf si vous parlez au commissaire en lui disant que vous appartenez à une organisation d'étudiants ou de femmes. Je pense que c'est assez courant - Je doute qu'il y ait une seule femme à Delhi qui soit allée à la police de Delhi et ait fait une autre expérience. Je ne sais pas d'où ils ont sorti la règle de fonctionnement de cette procédure, mais elle existe.
Une autre déclaration que Neeraj Kumar a faite lors d'une conférence de presse était que les femmes ne doivent pas se promener seules, elles doivent avoir des escortes - et que si vous vous promenez dans la rue à deux heures du matin, alors comment pouvez-vous vous attendre à ce qu'on vienne vous sauver ?

Ce dernier incident est bien sûr en contradiction flagrante avec ces discours - il n'a pas eu lieu tard dans la nuit, la jeune fille était, en fait, avec un ami - mais ce n'est pas mon argument. Je crois que même si les femmes marchent seules dans la rue, même si c'est tard dans la nuit, pourquoi des justifications doivent-elles être fournies, du genre "elle devait travailler à des heures tardives" ou "elle rentrait d'un boulot chez un sous-traitant dans les médias" ? Si elle veut simplement sortir le soir, si elle veut sortir acheter une cigarette ou aller faire un tour dans la rue - est-ce un crime pour les femmes ? Nous ne voulons pas entendre cet argument défensif que les femmes ne quittent leurs maisons que pour le travail, les pauvres, que peuvent-elles faire, elles sont obligées de sortir. Nous croyons que peu importe si elle est à l'intérieur ou à l'extérieur, que ce soit le jour ou la nuit, quelle que soit la raison, elle peut être habillée comme elle veut - les femmes ont droit à la liberté. Et c'est cette liberté sans peur que nous devons protéger, sauvegarder et respecter. Et c'est cette liberté sans peur que nous devons protéger, sauvegarder et respecter.
Je dis cela parce que je pense que le mot "sécurité" par rapport aux femmes a été beaucoup trop utilisé – nous savons toutes à quoi cette "sécurité" fait référence, nous avons entendu nos parents l'utiliser, nous avons entendu nos communautés, nos directeurs, nos gardiens l'utiliser. Les femmes savent à quoi "sécurité" se réfère. Cela signifie : tenez-vous bien ; restez chez vous ; ne vous habillez pas d'une manière particulière; n'exercez pas votre liberté, ainsi vous serez en sécurité.  Toute une gamme de lois et d'institutions patriarcales nous disent quoi faire sous couvert de nous garder "en sécurité". Nous rejetons entièrement cette notion. Nous n'en voulons pas.
(Source :Tehelka)

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