par Delphine Perrin, Libération, 23/2/2011
Delphine Perrin est juriste et chercheure associée à l’IREMAM (Institut de Recherches et d’Études sur le Monde Arabe et Musulman). Elle est membre du réseau d’experts du CARIM (Consortium euro-méditerranéen pour la Recherche Appliquée sur les Migrations Internationales), basé à l’Institut universitaire européen de Florence, et du réseau international Ramsès II. Domaine de recherche : la cadre juridique des migrations et de la citoyenneté au Maghreb, au Machrek et en Europe. Bibliographie
Les pays occidentaux, l’Europe en tête, semblent découvrir la barbarie du régime de Kadhafi. Les marques d’«indignation» se succèdent dans les ministères face à une répression «parfaitement inacceptable», les exhortations à «la fin immédiate» des violences se multiplient.
Seul l’appel euphémique de Katherine Ashton à «la retenue» de tous les Libyens nous rappelle l’aveuglement criminel de la politique entreprise par l’Europe avec son voisin libyen depuis 2003. Cette année-là, l’Italie et la Libye concluaient le premier d’une série d’accords visant à lutter contre la migration irrégulière. L’année suivante, tandis que cinq infirmières bulgares et un médecin palestinien étaient condamnés à mort après quatre ans de simulacre de procès en Libye, l’UE renonçait à faire de leur libération une condition à la levée de l’embargo sur les armes et permettait ainsi à l’Italie de livrer le matériel nécessaire au contrôle des frontières libyennes.
Depuis lors, des ONG, et singulièrement Human Rights Watch et Amnesty International, dénoncent le traitement inhumain réservé aux migrants en Libye. Enfermés pendant des mois, voire des années, maltraités, torturés, ou abandonnés en plein désert, ils sont des milliers à avoir subi le pire, sans que l’Europe n’y voit autre chose que son intérêt à ne plus en entendre parler.
Depuis lors, des ONG, et singulièrement Human Rights Watch et Amnesty International, dénoncent le traitement inhumain réservé aux migrants en Libye. Enfermés pendant des mois, voire des années, maltraités, torturés, ou abandonnés en plein désert, ils sont des milliers à avoir subi le pire, sans que l’Europe n’y voit autre chose que son intérêt à ne plus en entendre parler.
Comme les pays dont sont ressortissants ces migrants, les Etats européens se sont montrés faibles et corrompus face à un Kadhafi prêt à ouvrir ses marchés et fermer ses frontières. L’Italie en premier chef, qui, depuis 2003, a renvoyé des milliers de migrants en terre libyenne avec une telle facilité depuis 2009 qu’elle envisageait même récemment pouvoir se passer désormais de Frontex (l’Agence européenne de contrôle des frontières extérieures de l’UE) – avant de se raviser face à l’arrivée de Tunisiens.
Des négociations opaques
Ces gouvernements européens, aujourd’hui ostensiblement scandalisés, négocient avec Kadhafi depuis 2008, dans la plus grande opacité, la conclusion d’un accord global qui comprendrait notamment l’engagement de la Libye à réadmettre ces migrants plus systématiquement. En vue d’y implanter une «zone de protection régionale» permettant de traiter sur place les requêtes des demandeurs d’asile que l’Europe ne peut plus souffrir, l’UE, comme l’OIM et le HCR, espéraient du leader libyen la ratification de la convention de Genève de 1951 sur le statut des réfugiés, sachant que Kadhafi est déjà appelé en Afrique « l’homme des traités » pour les avoir tous ratifiés sans en avoir respecté aucun.
En ce domaine pourtant, le chef de la Jamahiriya libyenne s’était montré transparent: il ne ratifierait pas la convention de Genève, ne reconnaissant tout simplement pas l’existence de réfugiés dans son pays et n’ayant aucune intention d’en prendre la charge. Peu importe, le HCR y était toléré depuis 1991 et légitimait, s’il en était besoin, de poursuivre les refoulements vers ce pays de facto considéré comme sûr pour les migrants.
En ce domaine pourtant, le chef de la Jamahiriya libyenne s’était montré transparent: il ne ratifierait pas la convention de Genève, ne reconnaissant tout simplement pas l’existence de réfugiés dans son pays et n’ayant aucune intention d’en prendre la charge. Peu importe, le HCR y était toléré depuis 1991 et légitimait, s’il en était besoin, de poursuivre les refoulements vers ce pays de facto considéré comme sûr pour les migrants.
Le fait que Kadhafi ait décidé en juin 2010 de fermer le bureau du HCR et l’ait enjoint de quitter le territoire n’a en rien modifié les projets européens d’externaliser davantage la gestion des migrants et le contrôle des frontières au-delà de la Méditerranée. D’ailleurs, l’absence d’accord de réadmission entre l’Union européenne et la Libye ne butait pas sur le manque de garantie en matière de respect des droits humains, comme le souhaiteraient certains membres du Parlement européen. La Libye est tout simplement trop chère, Kadhafi ayant réclamé à l’Europe des sommes astronomiques pour faire le travail qu’elle attendait de lui. Comme l’indiquent les documents de Wikileaks, les Libyens sont des «pirates» dans la négociation, aucune stratégie ne les guide davantage que de tirer profit de gouvernements prêts à offrir leur âme pour d’obscurs desseins, y compris celui de se débarrasser d’étrangers indésirables ou de prendre part à des marchés prometteurs – comme l’est celui de la sécurisation des frontières.
Kadhafi n’a jamais caché sa brutalité
L’opinion publique peut aujourd’hui mesurer, grâce à une attention médiatique sur ce pays – mais à quel prix! -, la violence démesurée inhérente au régime de Kadhafi. La soudaine prise de conscience des gouvernements européens est beaucoup moins crédible. A la différence de ses homologues, fussent-ils dictateurs, Kadhafi n’a jamais camouflé sa démesure ni son extrême brutalité. Le seul souvenir de son appel à la guerre sainte contre la Suisse lors de l’arrestation de son fils Hannibal pour coups et blessures contre deux employées en 2008 suffit à en convaincre. Un épisode parmi d’autres qui aurait dû justifier que l’Europe cesse de lui livrer des personnes vulnérables, c’est une évidence. Et cesse par la même occasion de feindre la dignité face à un allié sur lequel elle n’a jamais eu aucune prise, comme c’est encore le cas aujourd’hui.
Jusqu’au-boutiste et fin stratège sur le plan interne comme international, Kadhafi a toujours su transformer ses défaites en victoires. Il n’a jamais perdu de bataille diplomatique vis-à-vis de l’Occident, y compris pendant dix ans d’embargo international achevés par des concessions conjoncturelles. En revanche, le «roi des rois d’Afrique», tel qu’il se fait nommer sur le continent, a échoué dans tous ses projets mégalomaniaques en Afrique et dans le monde arabe et c’est par ce peuple, le peuple libyen, qu’il sera mis fin à «son projet révolutionnaire».
Cette révolte du peuple libyen et la médiatisation de sa répression démesurée permettent aujourd’hui de révéler au grand jour le cynisme sans borne des gouvernants européens. Elles pourraient, on l’espère, amener les peuples européens à s’interroger sur le prix, payé par d’autres, de leur tranquillité.
Jusqu’au-boutiste et fin stratège sur le plan interne comme international, Kadhafi a toujours su transformer ses défaites en victoires. Il n’a jamais perdu de bataille diplomatique vis-à-vis de l’Occident, y compris pendant dix ans d’embargo international achevés par des concessions conjoncturelles. En revanche, le «roi des rois d’Afrique», tel qu’il se fait nommer sur le continent, a échoué dans tous ses projets mégalomaniaques en Afrique et dans le monde arabe et c’est par ce peuple, le peuple libyen, qu’il sera mis fin à «son projet révolutionnaire».
Cette révolte du peuple libyen et la médiatisation de sa répression démesurée permettent aujourd’hui de révéler au grand jour le cynisme sans borne des gouvernants européens. Elles pourraient, on l’espère, amener les peuples européens à s’interroger sur le prix, payé par d’autres, de leur tranquillité.
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