par Cécile Hennion
| 23.02.11
Des jeunes dans les rue de Tobrouk, mardi 22 février. Depuis sept jours, la ville n'est plus sous le contrôle du régime. Ici, l'armée a fraternisé avec la rébellion. Photo Asmaa Waguih / Reuters |
Tobrouk (est de la Libye) Envoyée spéciale - Depuis sept jours, Tobrouk se réveille aux sons de sa nouvelle radio. Une radio libre, comme l'est depuis le 17 février cette ville de Cyrénaïque, la grande province libyenne qui jouxte l'Egypte. Sur les ondes de "Tobrouk libérée", ce mercredi 23 février, la parole se déchaîne une nouvelle fois. Les auditeurs se succèdent pour déclamer des odes à cette révolution encore neuve, ou pour accabler le colonel Mouammar Kadhafi de blagues assassines.
Le Guide est assimilé à un âne, à un Hitler oriental. Le discours prononcé la veille par le dirigeant menaçant, prêt à se battre "jusqu'à la dernière goutte" de son sang, n'a pas ébranlé la détermination des révolutionnaires. Mardi soir, l'écran géant sur lequel étaient retransmises les diatribes du colonel Kadhafi, au centre de la ville, a été bombardé de chaussures – l'expression la plus forte du mépris dans la culture arabe – ainsi que d'ordures. Les cris ont fusé : "Il nous prend pour ses esclaves !" ; "Il s'adresse à nous comme à des étrangers !" La cassure semble définitive entre la population de l'est du pays et le dictateur au pouvoir depuis 1969, même si une éventuelle contre-attaque est ouvertement redoutée.
A Tobrouk, ce mercredi, la plupart des magasins restent fermés. Cette ville plutôt pauvre semble vivre sur ses réserves.
Jusqu’au mardi 22 février, l’accès à la Libye par l’Egypte était bloqué par l’armée égyptienne. Au poste de frontière de Salloum, des dizaines de milliers de travailleurs expatriés égyptiens se pressaient pour regagner leur pays. Côté égyptien, des médecins volontaires attendaient de pouvoir accéder à la Libye pour y acheminer des médicaments. En milieu de journée, quelques journalistes occidentaux ont été autorisés à franchir la frontière. Ils ont été accueillis dans la liesse par des Libyens espérant enfin sortir du huis clos dans lequel était contenu leur soulèvement depuis plus d’une semaine.
Les jours précédents, les rebelles n’avaient en effet eu d’autre recours que de faire passer en Egypte, mais aussi en Tunisie, à l’ouest du pays, de petites vidéos enregistrées sur des téléphones portables témoignant de leur révolte. "C’est la première fois qu’on voit la presse avec plaisir. Pendant quarante ans, il n’y avait ici que la peur, nous voulons changer ça. A cause de Kadhafi, les Libyens ont eu, pendant des années, une image de terroristes et d’ignorants, cela aussi nous voulons le changer", explique un rebelle.
Tout le long de la route côtière qui conduit à Tobrouk, à une centaine de kilomètres à l’ouest de la frontière, la sécurité est désormais assurée par des civils en armes, revêtus de tenues disparates prises aux militaires. Les journalistes étrangers sont pris en charge par des taxis qui refusent le moindre dédommagement. Les forces de l’ordre officielles ont disparu, y compris des sites de bataille de la Deuxième Guerre mondiale réputés dangereux compte tenu des munitions que l’on peut encore y trouver.
Au centre de Tobrouk libéré, 22 février 2011 Photo Asmaa Waguih / Reuters
PORTRAITS PIÉTINÉS
Les symboles du régime ont été systématiquement détruits. Les portraits du colonel Kadhafi ont été piétinés ou affublés de moustaches ou de bandeaux de pirate. Des monuments à la gloire du Livre vert, bible de la révolution libyenne, ont été détruits au marteau. Tous les drapeaux officiels libyens, un rectangle uni de couleur verte, ont été remplacés par des oriflammes comportant trois bandes horizontales, rouge, noir et vert : le drapeau de l’indépendance de 1951.
A Tobrouk, lors des premières heures du soulèvement, l’armée a refusé de tirer sur les manifestants. Elle s’est retirée de la ville avant de fraterniser avec la rébellion. Les responsables du Comité populaire, créé en lieu et place des comités révolutionnaires du régime, assurent disposer de beaucoup d’armes légères mais de peu de munitions. Des collectes ont été organisées par les principaux chefs tribaux pour tenter d’éviter le chaos.
Au cœur de la ville, la place de la Jamahiriya (Etat des masses) a été rebaptisée du nom d’une victime du régime, Mahdi Elias, un étudiant pendu en 1984 au retour d’un séjour aux Etats-Unis, au plus fort de la crise entre Washington et Tripoli. Fathi Faraj, un ingénieur en pétrochimie, se montre intarissable : "Je pourrais vous parler des jours entiers de ce que nous avons subi, nous autres Libyens. Quand Saïf Al-Islam a émergé il y a cinq ans avec des idées de réformes, nous lui avons donné une chance même si nous pensions qu’il était trop jeune pour prendre la suite de son père. Il a montré son vrai visage, le visage immonde de celui qui cherche à diviser pour régner. C’est la méthode de son père. C’est ce que ce dernier essaie de faire en nous menaçant d’une guerre civile."
Tobrouk libérée, comme Ajdabiya et Benghazi, retient son souffle. Selon certaines informations, impossibles à vérifier, environ mille hommes munis d’armes légères seraient partis de Beida, entre Tobrouk et Benghazi, en direction de Tripoli. Les nouvelles de Benghazi, deuxième ville du pays, plus à l’ouest, inquiètent. Il est question de ripostes des forces restées loyales au colonel Kadhafi. Joint par téléphone, le docteur Ahmad Ben Tahr de l’hôpital Jalal, évoque le nombre de trois cents morts en cinq jours, groupés dans la cour faute de place à la morgue, et celui de deux mille blessés. "Dans deux jours, assure-t-il, nous manquerons d’antibiotiques."
Dans cette ville où des mercenaires africains, en provenance du Tchad, du Niger et du Nigeria sont tombés aux mains des rebelles, de nombreux prisonniers ont été découverts dans les bases militaires désormais désertes. "Nous ne sommes pas encore en sécurité, explique un membre du Comité de Tobrouk, nous redoutons des bombardements aériens. Nous sommes prêts à libérer le pays de nos mains nues, mais les Nations unies doivent imposer une zone d’exclusion aérienne."
Les slogans sont les mêmes qu'en Tunisie et en Égypte: "Kadhafi dégage!", "Nous pouvons vivre de pain et d 'eau mais pas avec Kadhafi"
TOBROUK, 23 FÉVRIER 2011AP Photos
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