par German-Foreign-Policy.com, 3/2/2011. Traduit par Michèle Mialane, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala
Original :
BERLIN-LE CAIRE-Après l’annonce du retrait, en septembre, du Président égyptien Hosni Moubarak, et devant l’escalade des violences entre ses partisans et ses adversaires, Berlin intensifie ses efforts en vue d’assurer son influence auprès des prochains maîtres du Caire. L’armée y conserve la haute main. Un gouvernement capable de stabiliser la situation actuelle sous l’égide d’un Président plus populaire serait très bienvenu pour Berlin. L’Allemagne est un collaborateur éprouvé de l’appareil répressif égyptien ; elle a toujours secondé efficacement les USA pour maintenir l’hégémonie occidentale sur les ressources du Moyen-Orient. Des porte-parole du monde économique mettent en garde contre les millions de perte que pourrait entraîner un « bouleversement » pour les exportations et les usines allemandes en Égypte. Si la puissance de l’armée était mise en question au Caire, Berlin envisagerait une collaboration étroite avec des figures de proue de l’opposition actuelle, dont la capitale allemande attend une grande bienveillance envers ses propres intérêts. Des contacts appropriés ont déjà été pris au cours de se ces dernières années, aboutissant à diverses fondations, en particulier la Fondation Friedrich Naumann, qui dépend du parti de l’actuel ministre des Affaires étrangères [le FDP, le parti libéral de Guido Westerwelle, NdE].
Le pouvoir de l’armée
Après l’annonce faite par le Président Moubarak qu’il ne se représenterait pas à l’élection présidentielle de septembre prochain, la République fédérale intensifie ses efforts pour assurer son influence auprès des prochains maîtres du Caire.
Pour le moment l’armée garde le contrôle : les principaux ministres sont des militaires ; Omar Souleiman, élevé il y a quelques jours à la charge de vice-président, est chef des services secrets depuis près de 20 ans et passe aussi pour un proche de l’armée. Une nouvelle donne qui permettrait de laisser le pouvoir effectif à Souleiman et à l’armée serait la bienvenue pour l’Occident : le fragile équilibre au Proche et Moyen-Orient1 pourrait être maintenu, malgré toutes ses tensions, car il repose sur le soutien que certains régimes arabes, dont l’Égypte, apportent à Israël et qui permet le contrôle de l’Occident sur les ressources arabes. À l’avenir Moubarak ne pourra plus en être garant ; il faut un Président beaucoup plus populaire. Les candidats potentiels sont actuellement l’ex-Ministre des Affaires étrangères, Amr Moussa, et l’ex-Directeur de l’AIEA, Mohammed El Baradei. Moussa est un membre de l’establishment du régime Moubarak et l’Occident le juge fiable. Quant à El Baradei, il a lâché le Président depuis quelque temps déjà et en ce moment il négocie avec l’armée. Bien sûr il faut aussi enrôler l’opposition et la calmer.
Partenaires de répression
Laisser le pouvoir à l’armée est une solution que certes les manifestants rejettent, mais qui en revanche permettrait amplement à l’Allemagne, en contact étroit avec l’appareil répressif égyptien, d’exercer une influence directe. L’Allemagne, non contente d’être un important fournisseur des forces armées égyptiennes2, a un programme de coopération avec l’armée égyptienne ; à l’automne 2010 une délégation de soldats égyptiens a effectué un stage à l’école de formation de la police militaire et du personnel d’État-major de l’armée allemande3. Omar Souleiman est aussi bien connu à Berlin, il a collaboré avec les services secrets au Moyen-Orient et entretient également les meilleurs rapports avec la police fédérale : la PJ allemande a un agent de liaison permanent au Caire, la police en tenue en a même deux. Pour les seules années 1985 à 1995 Bonn a apporté à la police égyptienne un soutien en matériel et formation équivalant à plus d’un million d’euros. À l’époque la police égyptienne était déjà connue pour pratiquer la torture.
Des intérêts économiques
L’industrie allemande fait elle aussi pression sur Berlin pour empêcher un « bouleversement » en Égypte. Si jusqu’à présent c’était la sympathie pour les mouvements démocratiques nord-africains qui dominait dans les médias allemands, certains milieux économiques ont maintenant réussi à faire passer des jugements critiques. Ainsi on entend dire depuis hier que les soulèvements nuisent en plusieurs manières à l’industrie allemande : d’une part, la production est arrêtée dans les usines allemandes en Égypte, où nombre d’entreprises, dont de grandes firmes comme Siemens, Daimler-Benz et BASF ont investi au total plus de 500 millions d’euros. D’autre part les exportations allemandes vers l’Égypte sont menacées ; elles se montaient l’an dernier à plus de 2,6 milliards d’euros. La presse de caniveau prétend que les garanties Hermes (dédommagement versé aux exportateurs en cas de pertes, géré par les Assurances Hermès pour le compte du gouvernement allemand) entraîneraient à elles seules le versement de 190 millions d’euros si les troubles continuaient sur les rives du Nil. Ce serait donc le contribuable allemand qui ferait les frais des mouvements démocratiques égyptiens4.
Les réseaux du FDP
Pour le cas où l’armée ne réussirait pas à stabiliser l’Égypte, l’Allemagne entretient aussi des contacts avec l’opposition. Cela se fait entre autres au moyen de fondations proches des partis, comme la Fondation Friedrich-Naumann du FDP. Cette fondation, non contente de soutenir en Égypte des organisations publiques comme l’Egyptian Radio and Television Union (ERTU) et le National Youth Council (NYC) en fait autant pour des associations d’opposants, telles que l’Egyptian Organization for Human Rights (EOHR), fondée en 1985 par Ayman Nour. Nour est Président du parti d’opposition El Ghad ; c’est à son siège que se sont réunis hier mercredi les plus importants groupes d’opposition égyptiens pour débattre de la conduite à tenir5. Le parti El Ghad est membre fondateur du Network of Arab Liberals (NAL). Ce réseau, fondé en 2006, regroupe les partis libéraux de langue arabe ; c’est le partenaire le plus proche de la Fondation Friedrich-Naumann en Égypte. Il se perçoit comme le pendant de l’alliance de partis latino-américaine RELIAL, soupçonnée de soutenir des mouvements sécessionnistes en Amérique du Sud, comme l’a rapporté german-foreign-policy.com6.
La France est le grand perdant
Indépendamment du succès ou de l’échec du mouvement démocratique égyptien, les bouleversements en Afrique du Nord représentent une nouvelle victoire pour Berlin en matière de concurrence intra-européenne. Les observateurs constatent que le projet d’Union euro-méditerranéenne7 semble définitivement stoppé. Ce projet était aux yeux de Berlin celui du Président français Nicolas Sarkozy, qui souhaitait ainsi établir un contrepoids aux activités de l’UE en Europe de l’Est, profitables surtout à l’Allemagne. Les principaux appuis de Sarkozy sur ce projet étaient les Présidents égyptien et tunisien, le premier désormais en fin de parcours et l’autre en fuite. La semaine dernière, le Secrétaire général de l’Union pour le Méditerranée, affaibli au point de ne plus parier un sou sur le projet, a démissionné. Si le projet échoue, c’est une nouvelle défaite de Paris face à Berlin, qui voit s’ouvrir à lui de nouvelles perspectives, en Afrique du Nord cette fois.
Ndlt : Je ne saurais trop conseiller la lecture de l’article Ben Ali, un partenaire idéal : la double morale de la politique allemande vis-à-vis de la Tunisie, ces deux textes s’éclairent mutuellement.
2 Voir Nutznießer der Repression (les profiteurs de la répression)
3 Hôtes égyptiens : www.feldjaeger-stabsdienstschule.bundeswehr.de 01/11/10
4 Les contribuables paient pour les exportations vers l’Égypte ! www.bild.de 02.02.2011
5 Egypt's Leaders "Disappointed" by Mubarak, Welcome Change; www.cbsnews.com 01/02/2010
6 Voir Neoliberale Netze (Réseaux néolibéraux)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire