vendredi 15 janvier 2016

Sur la classe ouvrière mondiale : soulèvement ou lutte de classe ? -

par Wildcat, N° 98, été 2015
Le concept de classe est à nouveau populaire. Après la dernière crise économique mondiale, même les journaux bourgeois ont commencé à se demander : «Après tout, Marx n’avait-il pas raison ?» Durant les deux dernières années, le livre de Thomas Piketty, Le Capital au XXe siècle, a figuré sur la liste des best-sellers – cet ouvrage décrit de façon détaillée comment le processus d’accumulation capitaliste a historiquement abouti à une concentration de la richesse entre les mains d’une infime minorité de détenteurs de capitaux.     Dans les démocraties occidentales aussi, des inégalités importantes ont conduit à une augmentation de la crainte de soulèvements sociaux. Ce spectre a hanté le monde au cours des dernières années – des émeutes à Athènes, Londres et Baltimore jusqu’aux révoltes en Afrique du Nord, qui, parfois, ont renversé des gouvernements. Comme d’habitude, pendant ces périodes de «troubles», alors qu’une faction de la classe dirigeante appelait à une répression armée, une autre soulevait la «question sociale», qu’elle prétendait vouloir résoudre en mettant en œuvre des réformes ou des politiques de redistribution.
 
La crise mondiale a délégitimé le capitalisme; la politique des dirigeants et des gouvernements – qui consiste à faire payer la crise aux travailleurs et aux pauvres – a alimenté la colère et le désespoir. Qui peut encore contester le fait que nous vivions dans une «société de classe» ? Mais que signifie en réalité cette expression ?    
Les «classes», au sens le plus étroit du mot, émergent seulement avec le capitalisme – mais l’expropriation des moyens de production sur laquelle repose la condition des prolétaires qui ne possèdent rien ne se réduit pas à un événement historique unique. L’expropriation se répète, se reproduit, tous les jours au sein du processus de production lui-même : les travailleurs produisent, mais le produit de leur travail ne leur appartient pas. Ils ne reçoivent que ce dont ils ont besoin pour reproduire leur force de travail, ou bien ils bénéficient du niveau de vie qu’ils ont réussi à atteindre en luttant.    
En principe, les sociétés de classe ne reconnaissent aucun privilège fondé sur la naissance, et la propriété de l’argent est censée déterminer la position sociale de chacun d’entre nous. En théorie, le capitalisme permet de démarrer sa carrière en tant que plongeur dans un restaurant pour finir spéculateur boursier (ou au moins petit entrepreneur, objectif de nombreux immigrés). Dans le même temps, les membres de la petite bourgeoisie et les artisans peuvent chuter dans les rangs des prolétaires. Grimper l’échelle sociale est rarement le résultat de son propre travail, cela dépend plutôt de la capacité à devenir un capitaliste et à s’approprier le travail d’autres personnes. (La mafia, par exemple, possède cette capacité.)
   
En réalité, un processus de polarisation de classe se met en place – Marx et Engels avaient déjà compris qu’il s’agissait d’une force explosive et d’une condition préalable à la révolution. «Le mouvement prolétarien est le mouvement autonome de l’immense majorité dans l’intérêt de l’immense majorité» (Manifeste du Parti communiste). Selon Immanuel Wallerstein, la thèse de Marx sur la polarisation de classe serait sa thèse la plus radicale, thèse qui – une fois liée au système mondial – s’est vérifiée. La polarisation signifie, d’un côté, la prolétarisation, de l’autre l’embourgeoisement.    
Le Capital n’est pas simplement de la richesse qui s’accumule entre les mains de quelques-uns. Il est la condition préalable et le résultat du processus de la production capitaliste, au cours duquel le travail vivant crée de la valeur appropriée par d’autres. En effet, le capitalisme ne se caractérise pas par l’«exploitation» d’un travailleur par son maître artisan, mais par celle d’une grande masse de travailleurs rassemblés dans une usine. Ce mode de production repose sur le fait que des millions de gens travaillent ensemble, bien qu’ils ne se connaissent pas. Ils produisent de la valeur ensemble, mais, ensemble, ils peuvent aussi refuser ce travail et remettre en question la division sociale du travail. En tant que force de travail, les travailleurs font partie du capital; en tant que classe ouvrière, ils représentent le plus grand ennemi intérieur du Capital.
   
Des générations de chercheurs spécialisés dans la «gestion scientifique» du travail ont essayé de s’approprier les connaissances des ouvriers sur leur façon de produire, afin que le Capital puisse devenir indépendant du Travail. Ils ont créé des unités de production parallèles afin de continuer la production en cas de grève. Ils ont fermé des usines et les ont déplacées afin d’augmenter l’exploitation de ces nouveaux groupes de travailleurs et de mieux les contrôler. Mais ils ne sont pas en mesure d’exorciser le spectre.    
Pendant les vagues de grèves de 2010, pour la première fois, ce spectre a hanté toutes les parties de la planète en même temps. Ces luttes sont actuellement en train de changer ce monde. Même les universitaires en ont pris conscience et, après une longue période d’oubli, la classe ouvrière est à nouveau l’objet de leurs recherches – comme en témoignent de nombreux articles, de nouvelles publications et pages web, grâce auxquelles des spécialistes de gauche des sciences sociales essaient de créer des liens entre les travailleurs des différents continents.
   
En Allemagne, durant les vingt-cinq dernières années, les travailleurs ont dû combattre seuls – mais désormais, dans ce pays, les mouvements sociaux et les intellectuels ont recommencé aussi à se référer à eux.
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http://tlaxcala-int.org/upload/gal_12684.jpg
Ce que vous voyez n'est pas forcément vrai (Le pet), par Chen Wenling, Chine
 

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