Mathieu Galtier, Libération, 14/12/2015 |
Les
juges de Kairouan ont infligé trois ans de prison aux six accusés. Ils
sont, en outre, bannis de la ville pour cinq ans. L’homosexualité est
toujours interdite en Tunisie, où on compte cinquante condamnations par
an.
Six étudiants ont été condamnés pour homosexualité à trois ans de prison et cinq ans de
bannissement de la ville de Kairouan (Tunisie), où ils ont été arrêtés
le 4 décembre. Il s’agit de la peine maximale prévue par l’article 230
du code pénal, qui criminalise la sodomie. Les trois juges, qui ont
rendu leur décision le 10 décembre, sont allés encore plus loin en
décidant du bannissement (article 5 du code pénal). «La punition de bannissement est une première pour des cas de ce genre, assure l’avocate Fadoua Braham, spécialiste des procès d’homosexuels. La loi date de 1913. Elle a été très rarement appliquée et concernait surtout des femmes prostituées dans les années 60 et 70.»
Test anal
L’un des condamnés a écopé de six mois de prison en plus pour «atteinte à la pudeur»,
car les policiers ont retrouvé des vidéos pornographiques sur son
ordinateur. Les six inculpés ont également dû subir un test anal pendant
leur interrogatoire. Une pratique dénoncée comme «avilissante» par différentes associations des droits humains.Les défenseurs et proches des six étudiants craignent des conditions déplorables d’emprisonnement. Leur principale peur est qu’ils soient détenus dans des cellules avec des prisonniers homophobes qui pourraient s’en prendre à eux physiquement.
Les étudiants vivaient dans le foyer universitaire de Rakada à Kairouan, une ville très conservatrice au centre du pays. Les circonstances de l’interpellation ne sont pas encore très claires. Selon l’association de défense des minorités Shams, ils auraient été arrêtés à l’intérieur du foyer pendant que deux d’entre eux avaient des relations sexuelles. Pour Fadoua Braham, l’arrestation aurait eu lieu en dehors du foyer et les jeunes gens auraient été dénoncés par des voisins.
Une
bonne cinquantaine de personnalités est actuellement mobilisée pour
dénoncer l'article 230 du code pénal criminalisant l'homosexualité.
La campagne a démarré le 10 décembre à l'occasion de l'anniversaire
de la Déclaration universelle des droits de l'homme, et va se
poursuivre jusqu'à la fin du mois. Photo DR
Sensibilisation
Ce jugement relance le débat de la criminalisation de l’homosexualité
en Tunisie. Le 10 décembre, pour la Journée internationale des droits
humains, l’association Shams voulait organiser une manifestation pour
les droits des homosexuels. «Les autorités ont interdit la
manifestation car, nous ont-ils dit : "Nous nous occupons de la lutte
contre le terrorisme, pas des pédés"», s’indigne Ahmed Ben Amor, vice-président de Shams.L’association a décidé de lancer cette semaine une campagne virtuelle de sensibilisation. «Nous allons intensifier notre campagne "On existe, on est criminalisé" contre l’article 230, assure de son côté Ali Bousselmi, cofondateur de l’association Mawjoudin pour le droit des personnes LGBT. Il y a une véritable chasse aux homosexuels.»
En septembre, un étudiant de la région de Sousse avait été condamné à un an de prison pour homosexualité après avoir subi un examen anal. Grâce à son avocate, Fadoua Braham, et à la mobilisation de la société civile, il avait été remis en liberté en attendant son jugement en appel qui doit avoir lieu jeudi. Le ministre de la Justice de l’époque, Mohamed Salah Ben Aissa, avait demandé l’abrogation de l’article 230 mais avait été aussitôt recadré par le président Béji Caïd Essebsi.
« Il y a plus de cinquante cas de condamnations pour homosexualité par an et une cinquantaine d’homosexuels se sont suicidés en 2015 à cause du rejet de la société ou de leur famille», estime Ahmed Ben Amor.
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