19 janvier 10
Paris-Copenhague-Genève, le 18 janvier 2010 - Le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme (REMDH) et l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, un programme conjoint de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), expriment leur profonde inquiétude suite à la poursuite des actes de harcèlement judiciaire à l’encontre des journalistes indépendants en Tunisie.
Le 13 janvier 2010, le Tribunal de première instance de Gafsa (sud de la Tunisie) a condamné M. Fahem Boukadous, correspondant de la télévision satellitaire Al Hiwar et du journal en ligne Al Badil, à quatre ans de prison pour « participation à une entente visant à préparer et à commettre des agressions contre des personnes et des biens ». La décision n’a pas été accompagnée d’une décision d’incarcération, dans l’attente de la décision de la Cour d’appel, fixée au 23 février 2010.
En décembre 2008, M. Fahem Boukadous avait été condamné par contumace à une peine de six ans d’emprisonnement durant la vague de procès sanctionnant les manifestations pacifiques des habitants dans la région minière de Gafsa-Redeyef, après qu’il eut publié une série d’articles et de reportages décrivant la mobilisation des habitants de cette région. La procédure intentée contre M. Boukadous visait explicitement à sanctionner son travail de journaliste. Cette décision avait été confirmée en appel le 5 février 2009. Suite à la répression du mouvement de protestation de Gafsa-Redeyef et de leurs relais, M. Boukadous était entré en clandestinité. Après la libération conditionnelle des prisonniers du bassin minier de Gafsa-Redeyef à la veille des élections présidentielles et législatives en novembre dernier, M. Boukadous s’était présenté aux autorités de police pour que sa cause soit entendue en justice, bien que les autorités n’avaient annoncé aucune mesure de clémence en sa faveur [1].
Le déroulement de l’audience du 13 janvier a été marqué par de graves violations des dispositions de droit interne tunisien et des standards internationaux relatifs au procès équitable. Le juge a ainsi omis d’énoncer les charges qui pèsent contre le journaliste, se contentant de lui adresser une question sur sa "relation avec le bassin minier" avant de lever la séance pour délibération. Les demandes de renvoi présentées par les avocats de M. Boukadous, fondées sur l’absence du bulletin des antécédents judiciaires du prévenu dans le dossier criminel ont été ignorées. Le procès aura duré au total une dizaine de minutes.
Cette décision intervient alors que nos organisations ont été informées de plusieurs nouvelles mesures de représailles à l’encontre de deux journalistes condamnés à des peines de prison ferme pour avoir dénoncé des violations des droits de l’Homme. Ainsi, M. Zouhair Makhlouf sera détenu jusqu’à l’examen de l’affaire en appel, le 20 janvier [2], soit au delà du 18 janvier, terme de la peine qui avait été prononcée le 1er décembre 2009 par le Tribunal de première instance de Grombalia. Depuis sa condamnation, les avocats de M. Makhlouf se sont vu empêchés de rendre visite à leur client en prison.
Par ailleurs, M. Taoufik Ben Brik demeure emprisonné à la prison de Siliana suite à sa condamnation le 26 novembre 2009 à une peine de six mois de prison ferme. Depuis cette date, l’administration pénitentiaire s’oppose arbitrairement à la visite de ses avocats, et restreignent abusivement les visites de la famille. Par ailleurs, l’état de santé de M. Ben Brik, qui est atteint d’une maladie rare du système immunitaire, s’est considérablement dégradé depuis son incarcération, et il ne bénéficie actuellement pas des soins médicaux adéquats dont il a un besoin vital. L’audience du procès en appel a été fixée au 23 janvier 2010.
Mme Azza Zarrad, la femme de M. Ben Brik, qui mène depuis le 6 janvier avec plusieurs membres de sa famille une grève de la faim pour protester contre la détention de son mari, participera à une délégation mandatée conjointement par le REMDH et l’Observatoire à l’occasion de la session plénière du Parlement européen à Strasbourg du 18 au 21 janvier durant laquelle se tiendra un débat sur la Tunisie.
Nos organisations appellent à la cessation de toutes les procédures intentées abusivement à l’encontre de MM. Fahem Boukadous, Taoufik Ben Brik et Zouhair Makhlouf, ainsi qu’à la libération immédiate et inconditionnelle de ces deux derniers, et demandent une nouvelle fois aux autorités tunisiennes de mettre un terme au harcèlement des défenseurs des droits de l’Homme et des journalistes indépendants et de se conformer à ses engagements internationaux et régionaux.
En vue du débat sur la Tunisie organisé dans le cadre de la prochaine session plénière du Parlement européen, nos organisations invitent enfin les parlementaires européens à adopter une résolution demandant :
* à ce que l’ouverture d’éventuelles négociations sur un « statut avancé » UE-Tunisie soit strictement conditionnée par une amélioration concrète de la situation des droits de l’Homme en Tunisie ; * à la Tunisie la libération immédiate des défenseurs des droits de l’Homme en Tunisie emprisonnés ; * à la Tunisie de garantir l’exercice de la liberté d’expression et de la liberté d’information, notamment sur Internet, et de mettre un terme aux actes de harcèlement, en particulier judiciaire, contre les défenseurs des droits de l’Homme et les journalistes indépendants, conformément aux instruments internationaux et régionaux ratifiés par la Tunisie ; * une mise en œuvre effective des lignes directrices de l’Union européenne sur les défenseurs des droits de l’Homme.
Pour plus d’information, merci de contacter :
* REMDH : Mathieu Routier +33 1 48 18 06 86
* OMCT : Delphine Reculeau : + 41 22 809 49 39
* FIDH : Gaël Grilhot / Karine Appy : + 33 1 43 55 25 18
* OMCT : Delphine Reculeau : + 41 22 809 49 39
* FIDH : Gaël Grilhot / Karine Appy : + 33 1 43 55 25 18
[1] M. Mohieddine Cherbib, président de la Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives (FTCR), reste également sous le coup d’une condamnation par contumace à une peine de deux ans et deux mois de prison prononcée lors des procès de Gafsa Redeyef.
[2] En application du Code de procédure pénale, lorsque le ministère public fait appel d’une décision, le prévenu reste sous l’effet du mandat d’arrêt.
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